C'est du néant que tout commence. Dans le noir et la douleur, par la destruction et l'obscurité blafarde du néant. Mon corps lourd m'empêche de respirer. Le poids de ma culpabilité oppresse mon âme. Néanmoins, quelque chose m'intime l'ordre de me lever… Maintenant…!
Ce sont de ces ciels gris et orageux que des ruines règnent sur des terres autrefois lumineuses. Le grondement pressant de l'orage, les craquements du bois humide et pourri tombant au sol, alors que les brisures des pierres fêlées s'écroulant sous leur poids, sont les seuls musiques que la nature se permet à présent.
Des silhouettes se dessinent dans la noirceur de la forêt adjacente. Celle-ci enfante une meute de loups se dirigeant lentement vers les pierres mortes. Tous laissent l'être dominant entrer seul dans la cité fantôme. Après quelques fines recherches, il s'assit sur un mur abattu et hurle le zénith. A la manière d'un chant d'espoir, des voix envahirent le territoire dévasté.
Puis, comme si plus rien ne vivait ; comme si le monde était sourd, tout devint immobile et silencieux. Des nuages bas, sombres, imposants, recouvrent le ciel. Un grondement menaçant accompagne les nues éplorés, versant leurs larmes sur les pierres détruites.
Un corps poussiéreux et meurtri peine à s'extirper des décombres. Seule une ambiance de mort accueille le guerrier.
De la terre dévastée, il naît une nouvelle fois à la surface du monde avec le peu de force qui lui est encore permis. Usant de tous les moyens pour se défaire des gravats, il se dresse pour contempler ce qui n'est plus. éreinté par l'effort, il s'effondre dans la désolation. Un flot de larmes laisse des trainées le long de ses joues sales. Il essaie de lever la tête "Depuis combien de temps suis-je ici ?" se demandait-t-il. "J'ai foulé ce sol depuis si longtemps et je ne me souviens plus pourquoi. De cet acte de lourdeur qui pèse sur mes épaules, ma mémoire essaie de reprendre un second souffle".
Une pluie diluvienne s'abattaient de temps à autre sur la plaine. À chaque assaut du ciel, il ouvrait et fermait la bouche comme un poisson savourant les gouttes salvatrices. Il avait maintenant les yeux grands ouverts, ses lèvres esquissaient un faible sourire.
"Je me sais vivant et pourtant le vide m'envahit. Cette odeur de sang le long de mes joues, je la ressens comme le désespoir et la haine. La peur de cette vérité qui estompe le voile sur mes souvenirs. J'accueille ces gouttes d'eau m'aidant peu à peu à recouvrer mon passé et la cause de mon présent. Je me rappelle qui je fus..."
Des mouches vinrent bourdonner au-dessus de sa tête. Il voulu les chasser, mais peina à soulever le bras qu'il avait raide, fragile, comme tout le reste de son corps.
Après quelques instants, il leva la tête, comme réveillé d'entre les morts, il rassembla toutes ses forces pour s'assoir, s'appuya du coude et se posa contre une colonne effondrée depuis des décennies. À mesure que son regard s'étendait sur les ruines, son amnésie s'échappait lentement. Dans un délire succin, il se vit au milieu d'innombrables cadavres. Lui-même ressemblait à l'un de ces corps sans vie qui l'entouraient. Il se sentait attiré par la paix de la mort, comme une flamme hypnotise un enfant.
À grande peine, il s'aida de la colonne pour se relever. Encore tremblant, il s'y adossa. Il prit conscience qu'il ne cessait d'agripper son épée et contempla la lame brisée.
Lentement, il se fraya un chemin à travers les ruines, le lycaon à ses côtés. La cité lumineuse devait renaître...
Quelques années passèrent, et, à mesure que Kaoron avançait, il se trouva entouré d'êtres toujours plus nombreux. D'un petit village devenu bourg, de ville à cité, Aëlicien devint une terre d'asile pour les peuples meurtris et ou désireux de revanche. Sur son chemin, il rencontrait bon nombre de seigneurs se laissant piller sans résister. Une triste aubaine de ramener toujours plus d'éprouvés. Il se libéra alors de codes qu'il avait assez de suivre sans délaisser ceux auxquels il croirait. Ainsi s'adaptera-t-il jusqu'à cette fin définitive.
Sujet: Road - Portishead 
