[BG]Sybiline de Pickwill

Elle se tenait devant lui, assise sur la table. Elle avait le teint pale, de longs cheveux blonds presque blancs et des yeux d’un bleu profond. Elle s’ébroua, s’étira comme si elle venait de sortir d’un long sommeil, le regarda et lui dit :

- Bonjour ! D’une voix douce et cristalline.

Thoomook, à la fois enchanté et inquiet, ne répondit pas, regardant bouche bée la fillette.
Il était enchanté par cette jolie créature, qui lui semblait si merveilleuse. Il avait, depuis sa naissance, vu bien de jolies fleurs multicolores, de merveilleux oiseaux aux chants mélodieux. Mais jamais, non jamais il n’avait vu une aussi jolie petite fille.
Il était Inquiet, car il savait que ses ennuis n’allaient pas tarder à commencer. Mille et une fois le vieux mage Torkaël lui avait ordonné de ne jamais toucher aux fioles qui se trouvaient sur les étagères. Qu’allait-il dire lorsqu’il se rendrait compte qu’il ne l’avait point écouté ?

Le mage était un homme solitaire et casanier. Il s’était installé sur Tecil, à quelques distances des autres hommes, mais pas trop pour ne pas être trop proche de ceux qu’il appelait des « indigènes » ou des « sauvages » ou, lorsque son humeur était plus ombrageuse, des « métèques » .
Il avait fait bâtir une modeste maison dans laquelle il avait entreposé ses fioles, ses grimoires et tout son matériel.
De nature casanière, sortir faire des courses ne lui plaisait guère. Bien entendu il aurait pu embaucher une femme ou un apprenti. Mais l’un comme l’autre sont bavards, curieux et risqueraient de toucher à ses fioles…. Pire il faudrait les payer. Il lui fallait un être suffisamment simplet pour ne poser aucune question et faire ce qu’il lui demande sans rechigner.

C’est ainsi qu’il embaucha Thoomook, un petit indigène. L’enfant âgé de douze ans lui avait semblé suffisamment débrouillard et malicieux pour se sortir de toutes les arnaques et embûches qui se mettraient en travers de son chemin. Mais surtout il courrait suffisamment vite pour aller prestement chercher les ingrédients demandés par son maître.
Le vieux mage avait mis en garde l’enfant. Il ne fallait toucher à rien, aucune fiole ne devait être déplacée et en aucun cas ouverte. Ainsi lorsqu’il n’était pas en train de courir chercher les commissions pour le mage, Thoomook s’asseyait et regardait le grand meuble à étagères sur lequel les potions étaient stockées. Les rayons du soleil sur les fioles faisaient mille jeux de lumière, pareils à ceux que l’astre du jour faisait avec l’eau.

Parmi ses fioles, une en particulier avait attiré son attention. Elle se trouvait tout en haut du meuble, était remplie d’un liquide rouge qui lui rappelait la lave du volcan et semblait contenir une boule argentée. Il regardait la boule se déplacer dans la bouteille scintillant doucement.

Ce fut après deux longues semaines que Thoomook fauta. Le mage s’absenta pour visiter un de ses amis. Avant de partir il avait réitéré ses habituelles recommandations. Après le départ de son maître, le petit indigène s’était assis devant le meuble et avait, comme à son habitude, observé les fioles. Son regard s’était arrêté sur la fameuse fiole.
Il l’avait longuement observée, l’envie de la prendre l’avait lentement envahi. Puis n’y tenant plus il était grimpé sur le meuble. En se mettant sur la pointe des pieds, s’étirant le plus possible, il était parvenu à saisir entre deux doigts la fiole. Doucement il la prit dans ses mains et précautionneusement redescendit s’asseoir au centre de la pièce.
Il regardait la fiole, la tournait, faisant jouer les rayons du soleil avec le contenu. Après un long moment, il eut la tentation d’ouvrir le flacon. Le désir lutta longuement contre l’interdit… et le désir l’emporta.

Il tira sur le bouchon de liège aussi fort qu’il lui était possible et le bouchon céda. Les premiers instants, rien ne se passa. Déçu, l’enfant s’apprêta à remettre le bouchon. Mais à cet instant, la boule se transforma en une sorte de serpentin argenté qui se mit à tourner dans la fiole avant de jaillir. Puis un nuage blanc se forma autour du serpentin, il y eut plein de petites étincelles argentées… et ce fut l’apparition.


- Bonjour ! Dit le garçon, encore sous le coup de l’émotion.

La petite fille regardait de droite et de gauche, inspectant la pièce. Puis elle se tourna vers son interlocuteur.

- Qui es-tu ? Où suis-je ?

- Je suis Thoomook ! Tu es sur Tecil… C’est ainsi que les étrangers appellent notre île ! Puis après un moment d’hésitation. - Et toi ? Qui es-tu ? Que faisais-tu dans ce flacon ?

- Je suis Sybiline ! Dit la fillette. - Sans doute que ce stupide mage a dû croire que j’avais des pouvoirs de charme ou de malédiction !

Le garçonnet regarda la fillette avec étonnement.

- Des pouvoirs de charme ???

- Oui ! Je suis de la race des Halfelins demi-fée ! Elle prononça ses derniers mots avec une pointe de fierté en agitant ses petites ailes.

- On prétend que nous sommes magiques et que…

A cet instant, la porte d’entrée grinça et la voix du mage se fit entendre.

- Thoomook ?

L’enfant tourna la tête dans la direction de la voix un instant. Lorsqu’il regarda de nouveau dans la direction de l’Halfelin, il l’aperçut fuir par la fenêtre en quelques gracieux et rapides battements d’ailes. Sans perdre un instant, l’enfant bondit par la fenêtre et s’enfuit en direction de la forêt à la suite de Sybiline.

Derrière eux la voix du mage se fit entendre.

- MON DIEU ! Quelle catastrophe !!!