Devant la porte... face à son destin

L’automne avait rependu son grand manteau de feuilles rousses, jaunes et ocre. Les forêts étaient emplies d’odeur de feuille et d’humus, où chaque arbre tentait de sauver ses dernières feuilles, ultime rempart avant la nudité qui les exposera aux rudesses de l’hiver.

La louve au pelage blanc trottait doucement, les oreilles dressées à l’écoute du moindre bruit, le museau pointant parfois vers le ciel pour mieux se saisir des odeurs qui flottait dans l’air. Parfois un bruit, une odeur mettait ses sens en alerte mais elle continuait son chemin sans y porter plus d’attention.

Arrivée à l’orée de la forêt, elle s’assit sur le tapis de feuilles, regarda le soleil que sa course allait mener à la mort du jour présent. Elle huma l’air, senti la présent d’autres congénères et se laissa aller à un long hurlement qui monta vers le zénith. Quelques instants après, les autres loups répondirent par le même hurlement sinistre. Satisfaite de cela, elle reprit sa route, bientôt la nuit la protègerait de son obscur manteau.


La nuit était déjà profonde lorsque Lyswea arriva devant les portes du repaire des Dragons Maudits. La jeune fille se demanda ce qu’elle allait bien pouvoir dire, ce que l’on allait bien pouvoir lui demander et ce qu’elle devrait répondre. En effet, il y avait bien longtemps qu’elle avait oublié ce qu’était la vie dans une communauté… humaine.
La demoiselle avait bien des qualités, et pas des moindres, et presque autant de défauts. Mais laissez-moi vous la présenter.

Lyswea était une jeune fille de taille moyenne, une jolie silhouette, gracieuse et élancée. Un visage aux traits d’une rare finesse, bien que son teint soit pâle. Des yeux dont l’éclat variait du bleu au vert avec des éclats de jaunes. De longs cheveux châtains qui semblaient être en totale liberté mais malgré tout coiffé. Tout ceci faisait d’elle une jolie personne dont la beauté était indéniable, il suffisait d’y ajouter le charme qu’elle tenait de sa mère pour comprendre qu’elle faisait se retourner les hommes sur son passage… Mais la race humaine ne l’intéressait pas.
Lyswea vivait depuis bien longtemps à l’écart de toute civilisation, la forêt était son domaine. Elle y vivait depuis… longtemps. Cela faisait d’elle, une rodeuse habituée à chasser, pister, traquer et tuer.

Pour l’heure la jeune fille se tenait devant la porte, elle la regarda et ressentit une grande angoisse, pour sure il y avait des humains en ce lieu. Elle sortit un médaillon de son corset, le regarda, l’embrassa et murmura :

- Aide-moi ! Je t’en prie ! Avant de le remettre dans son corset.

Elle n’avait qu’une envie, fuir. Pourtant dans un ultime effort, elle frappa à la porte… Priant dans son fort intérieur pour que personne ne réponde et pouvoir rejoindre la forêt.

Et personne ne répondit.

Une brise d’air se faufila à travers le feuillage des arbres comme pour se moquer de la personne solitaire se tenant face aux doubles portes massives de l’antre. Cueillant quelques feuilles mortes jonchées sur le sol, le faible vent les fit tournoyer autour d’elle. Avec ce petit bal aérien de couleurs automnale, le souffle frais apportait avec lui le son touffu d’une présence se mouvant dans la végétation. La course bruyante de la présence trahissait le fait que cet être n’appartenait pas à la forêt. La chute navrante suivit des plaintes nasillardes confirmeraient les soupçons de n’importe quel énergumène. « Aie, zut ! Saleté de racines ! »

Une adolescente bondit à la lisière de la forêt. Elle s’éplucha les brindilles parsemées dans ses courts cheveux bruns, la tête baissée vers les écorchures de son pantalon large. Quand elle releva enfin son regard, deux yeux révulsés se mirent à fixer avec insistance la femme qui attendait devant les portes. Les sourcils froncés de l’adolescente contrastaient avec l’émotion inexpressive de ses yeux aveugles quand elle avança d’un pas énervé droit vers elle.

_Te voila enfin ! S’exclama t-elle d’un ton sec. Toi et moi on va avoir une petite expli…

L’adolescente ne termina pas sa phrase qu’elle buta contre quelque chose. Immédiatement son regard vitreux se métamorphosa. Ses grands yeux à présent noirs exprimaient toute la confusion qu’elle ressentait d’avoir bousculé cette femme.

_Oh je suis désolée ! Pardonnez-moi, je ne vous avais pas vu. (Les feuilles mortes continuaient de plus belle leur envolée autour d’elle.) Bon maintenant ça suffit !

A ces mots, la petite brise mourut en laissant toutes les feuilles se choir à leurs pieds. L’adolescente semblait commander les éléments.

_Je ne commande pas les éléments. Informa t-elle comme pour contrecarrer les pensées de son interlocutrice qu’elle jugea jolie –mais Alaena c’est la plus belle. Je vous présente Djïn.

Il n’y avait rien à voir.

_Non là il n’y a personne. Il est derrière vous.

Il n’y avait toujours rien à voir.

_Vous ne risquez pas de voir grand-chose. Je m’appelle Kyra. Djïn est un fantôme mais tout le monde pense que je parle à des amis imaginaires. C’est ridicule ! C’est lui qui a possédé les feuilles pour les faire s’envoler. D’ailleurs toi tu vas devoir m’aider à retrouver le loup garou blanc albinos que tu as effrayé !
Si vous préférez penser que je parle au vent ça me convient. Rajouta-t-elle.

La femme ne lui semblait pas être à son aise, mais Kyra ne parvint pas à comprendre s’il s’agissait de sa présence où celle de Djïn. Elle la dépassa alors pour se poster devant la double porte fermée.

_Vous vouliez rentrer ? Avant, l’Antre n’était jamais fermée, mais depuis la seconde signature lors du débarquement des Dragons Maudits sur Tecil, nous en somme contraint lorsque la folie furieuse s’empare de nous. (Elle se tourna vers la femme et sembla réciter un texte apprit par coeur). Par mesure de sécurité impériale, nous fermons les portes de la guilde afin que la propagation de cette folie ne franchisse pas les murs de l’Antre des Dragons Maudits.

Kyra frappa trois coups de poings énergiques contre le bois massif.

_Entrez, je vous en prie. En tant que Maîtresse dragonne officielle je vous en donne l’autorisation.


Et personne ne répondit.

- Je me prénome Lyswea ! Je demeure dans les forêts de Moestra… Mais le château sera bientôt mien !

Elle fit un petit geste comme pour signifier que l’expulsion de l’illégitime propriétaire n’était qu’un détail ne valant pas la peine d’être abordé.

Elle entra dans l’antre en suivant Kyra. Milles questions se bousculaient dans sa tête. Comment une gamine pouvait diriger un royaume, mais également une guilde. Elle-même s’inquiétait du jour où elle reprendrait ses terres, elle n’avait jamais dirigé un Royaume, ni des hommes… Au mieux sa bonne et son majordome, mais c’était il y a longtemps. Elle restait admirative devant l’aplomb et le charisme dont elle faisait preuve.

- Vous avez parlé d’un loup garou blanc ? Que voulez vous en faire ?

Heureusement pour son égo, les doubles portes de l'antre finirent par s'ouvrir. Vu la lenteur à laquelle on répondit au tapage de ses poings, Kyra commençait sérieusement à se demander si Sworg et Grotha n'avaient pas commis un coup d'état guildique, la virant de son statut de maitresse Dragonne officielle. Avec eux, on pouvait s'attendre à tout.

D'un pas énergique elle entra dans l'antre, suivit de Lyswea qui venait de se présenter. A l'intérieur, la lueur chaude des bougies encastrées dans la roche caressait le visage tendu de la Gardienne muette qui entend tout. Elle affichait un regard que Kyra reconnu aussitôt. "C'est à cette heure-ci qu'on rentre?" Attendait-elle d'entendre télépatiquement.
Comme à son habitude lorsqu'une personne étrangère franchissait les lieux, elle devait certainement caresser du creux de sa main le métal de l'épée camouflée sous sa table d'accueil.

- Vous avez parlé d’un loup garou blanc ? Que voulez vous en faire ?

Kyra se tourna à nouveau vers Lyswea. Cette question lui remémora ce pourquoi elle était en colère contre Djïn.

_Je vais le manger! Répondit-elle avant d'éclater de rire. Non, non. Il faut que je le retrouve avant qu'il ne commette trop de désordre. C'est un jeune Lycan qui ne mesure pas encore sa force. Il est très craintif et Djïn c'est amusé à l'effrayer. Maintenant qu'il c'est enfui de la meute il est livré à lui même. Bizarrement il a dévoré quelques-un de mes messagers. Je n'ai pas compris pourquoi. Peut-être qu'il ne supporte pas leurs uniformes... Si jamais vous croisez un gros loup blanc albinos apeuré. C'est lui.

Kyra invita Lyswea de continuer à la suivre sans faire attention au regard de Dragon de la Gardienne. Elle ne faisait que son travail afin de permettre à l'antre de rester un endroit sur.

_Ici, vous avez le choix! Au fond là bas, vous avez des chaises autour d'une table sur lesquelles il est mal vu de s'assoir car ça n'existe pas selon certaines rumeurs. Moi, je préfère m'étaler dans les coussins du milieu. Venez, installez vous on va parler un peu!

Kyra plongea dans la montagne de coussins blancs, rouges et dorés qu'elle avait spécialement fait venir de Kaminoi.

_Les coussins viennent directement de Kaminoi. l'informa t-elle comme cette pensée lui traversa l'esprit. Pas le Kaminoi de Tecil qui m'appartient. Celui d'Ekarys! Vous connaissez Ekarys? Comment c'est en Moestra?

A ces mots, quelques coussins se mirent à danser dans l'air afin de supporter confortablement le dos de Kyra, complètement avachie sur ce lit coloré et à l'écoute de Lyswea. Djïn espérait se faire pardonner, mais Kyra n'était pas dupe.

L’idée qu’il puisse y avoir un loup dans les environs rassura Lyswea. Elle se sentait soudainement moins isolé comme si ce loup était une connaissance. La jeune fille connaissait bien les loups, souvent craint par la populace, elle avait tissé un lien très fort et très étrange avec ceux de la forêt de Moestra dont on disait qu’ils étaient les plus féroces.

Elle suivit Kyra, regardant autour d’elle avec curiosité. En effet les années qu’elle avait passé dans la forêt lui avait fait perdre la notion ce que l’on pourrait appeler « le chez soi ». Lyswea n’avait pas de demeure, hormis le château qui était occupé par le Duc… Château qu’elle avait l’intention de reprendre, non sans avoir fait payer chère les actes passés du Duc.

Installée dans les coussins face à la jeune fille, elle se sentait maintenant plus à l’aise pour parler.

Ekarys ? Oui… Enfin j’en ai un vague souvenir ! J’étais très jeune ! Je me souviens de mon éducation dans un monastère… De quelques personnes !

Lyswea n’aimait guère parler de son passé. Trop de blessures, trop de douleurs.

Moestra ? C’est une plaine à la terre fertile ! Nous y cultivions des arbres fruitiers, des légumes dont nous faisions le commerce. Elle avait utilisé le passé, sa voix trahissait une grande nostalgie d’un temps désormais révolu. A l’Ouest et au Nord, il y a de très hautes montagnes aux sommets blanchis par les neiges éternelles ! A l’Est, c’est la sombre forêt de Moestra… il ne vaut mieux ne pas y aller, c’est dangereux ! Il y a la Bête !

Elle avait prononcé ce dernier mot sur un ton grave. Pourtant la forêt, elle y vivait en toute quiétude. Elle avait trouvé refuge en elle, la forêt l’avait adopté… Elle faisait partie de la forêt.

- Peut être un jour aurais-je le temps de m’instruire sur ce qu’était Ekarys ! Vous connaissez bien cette île apparemment…enfin mieux que moi ! Non ?

Il y a la Bête !

Cinq mots qui raisonnèrent un instant dans le coin le plus sombre de l'esprit de Kyra, la renvoyant à ses propres démons. Elle essuya la soudaine moiteur de ses mains sur son pantalon et gigota sur ses coussins afin de retrouver le confort qu'elle pensait avoir perdu. Interprétant ces mouvements comme des plaintes sur leur mauvaise disposition, Djïn ajusta les coussins qui semblaient flotter à l'air libre. Kyra fusilla le vide du regard, et les coussins regagnèrent leur place d'origine.

Finalement, la conversation revint sur Ekarys et Kyra se détendit et sourit.

_Je suis née là bas, mais ce que je connais surtout est Kaminoi. Je n'ai pas souvent voyagé car je devais m'instruire à l'école Choujo. Et puis il y a eut le raz de marée qui a engloutit les îles et faillit tous nous emporter car nous cherchions une solution pour sauver le peuple de Kaminoi. Moi je voulais sauver les loups et les gobelins surtout. Les gens eux ils prenaient des bateaux.. (elle hésita) pour la plupart.

Les yeux de Kyra se perdirent comme le souvenir de ce jour là défilait dans sa tête.

_Je voyais des morts partout. Des vivants et des morts, et des fantomes, et de l'eau, partout. Mais aucun bateau n'avait été réservé pour la meute et les gobelins des terres mortes. Enfin, c'est terminé maintenant, la meute est sauve, une poignée de gobelins à survécue, et l'on ma chargé de bâtir le nouveau Kaminoi sur Tecil. (Parlant plus bas, un doigt posé sur sa bouche qui faisait la moue elle pensa tout haut : ) J'espère que la boule de poils albinos qui c'est sauvée en dévorant quelques messagers au passage ne souffre pas trop de solitude en ce moment, ou qu'elle n'est pas trop paniquée.

Elle bondit alors sur ses deux jambes et se dressa fièrement, les poings posés sur les hanches de manière solennelle.

_J'ai repris le flambeau de mon père, même pour diriger les Dragons maudits! Enfin, pas complètement. Je suis la Maitresse Dragonne officielle! Mais on me surveille et mon père ne me laisse même pas signer les missives! Les dragons ont besoin de neurones pour survivre sur Tecil. Et vous, combien avez-vous de neurones?