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 Ultime Odyssée

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Maitre Toki
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MessageSujet: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyMar 22 Nov - 22:17


***
Synopsis


Via les conspirations de l’ancien précepteur de Kyra, la milice du royaume se retrouve en charge de pourchasser l'adolescente afin de l’enfermer dans un procès visant à la destituer de ses pouvoirs sur Kaminoi. Son père, récemment porté disparu, ne peut faire preuve d’aucune autorité.
Un nouveau conseil de nobles invoque alors une excuse trop pratique, leur permettant d'interdire à Kyra le droit d’exercer les fonctions attribuées par son père introuvable. La jeune adolescente est alors contrainte de fuir son propre royaume à la recherche d’un allier oublié : une doublure pour Maitre toki.

Quelque part au dessus des eaux d'Ekarys, dans l’ombre des fondations du Kaminoi-Eka, l’abomination divine emprisonnée par les Déesses de pierre se gorge de forces nouvellement acquises. Les Déesses se fatiguent. Les fondations s’effritent. Kaminoi-Eka risque l’immersion ; quand le démon jubile de sa future et proche ascension.
Le précepteur n’est plus seul à subir les influences démoniaques. Le pouvoir de la nécromancie retrouve son inquiétante puissance originelle, exactement comme la lointaine époque où l’Animato régnait en maître sur ces mêmes terres.

Kyra n’a décidément pas fini de courir.


* * Chapitrage * *


-Prologue

-Chapitre 1 : Le courant d'air
-Chapitre 2 : L'alchimiste
-Chapitre 3 : Le néant
-Chapitre 4 : Les Efles Noirs
-Chapitre 5 : La rumeur
-Chapitre 6 : Lui
-Chapitre 7 : Les Trolls des bois
-Chapitre 8 : Le pantin
-Chapitre 9 : Toki Sensei
-Chapitre 10 : Les pygmées
-Chapitre 11 : Nos pires cauchemars
-Chapitre 12 : La petite fée
-Chapitre 13 : La missive
-Chapitre ultime : Les maux de la fin


Dernière édition par Maitre Toki le Lun 5 Aoû - 0:25, édité 18 fois
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyDim 27 Nov - 0:20

***
Prologue


La puissance salée de l’eau explosa contre la roche, telle une coupe de cristal brisée en éclats scintillants. Inlassablement, les hanches étroites de la Déesse de pierre repoussaient les assauts éternels de la mer en colère. Figée à jamais dans la position de son dernier effort pour sauver Kaminoi du cataclysme, sa compagne l’aidait à soulever les restes du royaume par la force de ses mains d’argiles. Toutes deux formaient les piliers de Kaminoi-eka, ultime survivant de l’ancienne île d’Ekarys.
Autrefois, ce vaste royaume s’étendait à perte de vue. Lorsque Maitre toki contemplait la vue de l'horizon offerte par la baie vitrée de son bureau, jamais il n’avait éprouvé cette sensation de fragilité face à la grandeur de son royaume.
Aujourd’hui cependant, l’immensité de l’océan à laquelle il se voyait confronté dépassait l’entendement. Maitre toki ne s’était jamais senti si petit. Les arbres, les battisses, les murailles et le peuple, de toute cette vie et de ces constructions ne restait plus qu’une incroyable étendue d’eau tumultueuse sous un soleil de plomb. Un ciel brut, sans aucune tache pour entraver son immensité bleue rivalisant avec celle de la mer. Le souffle de la tempête qui provoqua le raz de marée avait tout emporté, jusqu'à en priver le ciel de ses nuages.

Maitre toki tourna le dos au souvenir du grand Kaminoi. Le soleil brûlait la baie vitrée en un reflet éblouissant prenant la forme du papier consumé par les flammes. Le fauteuil sur lequel il s’asseyait ressemblait à s’y méprendre à quelque trône princier. Tout dans cette salle était conçue de façon à impressionner son interlocuteur du jour. Commerçants, chefs de guerre, Rois, messagers ou diplomates. Rien n’était laissé au hasard pour rattacher ces gens à sa cause. Là où cette vue forçait le respect en rappelant la puissance du personnage vous faisant face, il ne restait plus que l'étendue infinie des vestiges d’une gloire d'antan. En ce jour, à l'instar des précédents, ne se tiendrait pas l’ombre d’un Seigneur ou d’une Dame à impressionner. Et en toute franchise : Maitre toki chérissait cette pensée.

Penché sur un document officiel attendant l’ultime aval symbolique représenté par sa propre signature, le chef des Dragons Maudits s’octroya une dernière pause exigée par les tremblements intempestifs de sa main droite. Au bout de la troisième tentative infructueuse, Maitre toki jeta sa plume d’un geste compulsif, marquant son parchemin une légère traînée d’encre rouge. S’il ne se ressaisissait pas très vite, il finirait sans doute par détruire ce travail lui coûtant un effort psychologique sans précédent.
Sa décision était prise, reculer ne servirait plus à rien. Fort de ce regain d’énergie encore vacillante, Maitre toki tendit sa main vers la plume qu’il ne se voyait pas reconquérir. Son regard était vide. Ses yeux verts n’exprimaient pas la moindre foutue émotion. Mort, c’est ainsi qu’on le reconnaîtrait.
La plume griffonna le papier d’un mouvement fluide ; elle ne contenait déjà plus d’encre.

La frustration qu’il s’apprêtait à pousser d'un hurlement sauvage mourut sous l’étoffe d’un bâillon de soie. Dans son effort de concentration, Maitre toki n’avait pas senti la présence obscure jaillir dans son dos. Se débattre se révéla inutile, mais l'instinct poussait son corps à s’agiter sous le poids de son agresseur.
Très vite l’air vint à manquer. Maitre toki ne se rendit compte qu’il suffoquait qu’à l’instant où sa vision se troubla en une vague d’étincelles cristallines, telle la coupe de cristal brisée en éclats près de laquelle il s’effondra inconscient.


Dernière édition par Maitre Toki le Sam 14 Jan - 18:29, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyMar 29 Nov - 8:02

***
Chapitre 1 : Le courant d'air


La bourrasque profita d’une seconde ouverture pour s’infiltrer violemment dans les quartiers de Kyra. L’adolescente s’empressa de fermer la porte derrière elle mais le mal était déjà fait. Son bureau - d’ordinaire moyennement organisé- venait de se métamorphoser en l’un de ces champs de bataille où l’on ne reconnaît plus ses alliés de ses adversaires. Chacun sait combien les pertes ont tendance à s’élever dans la confusion, si bien que Kyra se précipita vers la fenêtre avant que quelqu’un d’autre n’invoque de courant d’air en ouvrant la porte.
Par mégarde, elle glissa sur plusieurs parchemins tout en percevant ce frottement particulier trop reconnaissable, tandis qu'elle s’étalait de tout son long contre le sol dur.
Quelque chose s'était déchiré. Rien d'important, n'est-ce pas ? Sans quoi son père la tuerait. Métaphoriquement parlant dans un premier temps, mais rien ne garantissait de ce qui adviendrait dans un second temps.

Encore que... Récemment porté disparu, Maitre toki ne risquait pas spécialement d'avoir vent des bêtises de Kyra, tant que personne ne vendrait la mèche. D'ici à ce qu'il revienne un jour, Kyra savait pouvoir compter sur sa créativité afin d'éviter toute remontrance. En général, les mystérieuses escapades de son père pouvaient durer plusieurs semaines. C'est ainsi qu'il profitait de sa retraite, tandis que Kyra - qui avait fêté ses seize ans quelques mois auparavant - devait diriger le nouveau Kaminoi bâti sur l'île de Tecil.

_Tu devrais penser à ranger tes affaires un jour. Entendit-elle dans son dos.

L’adolescente se tourna précipitamment en se plaquant contre la fenêtre qu’elle venait de fermer. Elle s’écria dans le vide :

_Djïn, tu m’as fichue une trouille pas possible !

_Menteuse. Railla la voix dans sa tête.

Djïn était décédé à l’age de quinze ans en sauvant Kyra d’un incendie. Elle n’avait que deux ans à cette époque. Depuis, son fantôme la suivait partout comme un gardien invisible pour le commun des mortels. Les mauvaises langues lui donnaient le nom d’ami imaginaire, mais Kyra n’avait que faire de ce genre de remarques.

_Peut-être. Mais c’est vraiment pas poli d’entrer comme ça. Je suis une femme : j’aurais tout aussi bien pu me trouver nue.
_Et alors ?
_Et alors ce n’est pas poli !
_D’accord. La prochaine fois je penserai à frapper avant d’entrer.
_Menteur, railla Kyra à son tour.

Le garçon au turban haussa des épaules et flotta par-dessus la marre de papiers. Techniquement, le mensonge lui était inconnu de par sa condition de fantôme, ce qui ne l'empêchait pas de surprendre Kyra de temps à autre par quelques traces d'ironie dans ses phrases. Mais la mémoire des défunts fonctionne bien différemment de celle des vivants. Aussi n'était-il pas à l'abri d'un oubli.
Il étudia brièvement le contenu des parchemins sans y toucher, puis remarqua l’un d’entre eux déchiré en deux morceaux bien distincts. Kyra l’avait suivi du regard, intriguée du comportement concerné de son ami.
D’habitude, Djïn se contentait d’afficher une conduite détachée. Il n’y avait d’important à ses yeux que le bien être de Kyra. Ils n’étaient pas simplement amis. Le mot était trop faible. Ce n’était pas de l’amour non plus, mais cela y ressemblait à s’y méprendre. Tous deux entretenaient une relation unique en son genre. Ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre mais passaient le plus clair de leur temps à se disputer. Djïn et Kyra étaient liés l’un à l’autre comme le cœur et l'esprit : en conflit perpétuel et pourtant indissociables.

_C’est Kaminoi, révéla Djïn.
_Quoi, Kaminoi ? Pousse-toi !

Kyra s’empara du vieux parchemin déchiré en traversant le corps immatériel du fantôme qui n’avait pas trouvé l’intérêt de se déplacer. Ses yeux noirs s’arrondirent en une expression de panique. Kyra secoua la tête et plongea à corps perdu dans la paperasse éparpillée en quête de l’autre moitié.

_C’est le genre de document unique que ton père t’interdit de laisser traîner, pas vrai ?
_C’est… c’est pire que ça Djïn. Révéla Kyra.

Quelqu’un entra à ce moment précis, comme si il avait attendu le moment propice pour accentuer la dramaturgie de son entrée. Il n’emporta pas avec lui de nouveau courant d’air, mais le souffle d’une énergie brûlante qui flottait autour de lui comme une aura de mauvais augure. Pyrophobe, Djïn s’éclipsa par réflexe – comme un courant d'air - vers une destination inconnue. Kyra non plus ne supportait pas la vue du feu, mais il lui suffisait de ne pas utiliser ses dons de vision pour faire abstraction de cette énergie flambante, invisible à l'œil nu.

_Il va falloir que je pense à faire verrouiller cette porte
, ironisa Kyra en se relevant aussi droite que possible. C'est la deuxième fois qu'on me dérange sans prévenir.
L'humeur de Kyra ne donnait nullement réplique facile.

_Je n'ai vu personne d'autre, se risqua l'inconnu en faisant signe d'une main à quelqu'un dans le couloir.
_Qui êtes-vous? Je ne vous connais pas. Comment êtes-vous entrez sans permission? Dehors !

L'adolescente avança prudemment vers cet homme aux longs cheveux grisonnants, qui lui répondit d'une voix laconique :

_Dois-je répondre à vos questions avant, où après être sorti ?

Il avait l'allure d'un de ces nobles ne jurant que par le style vestimentaire tape à l'œil. Le genre qui en met plein la vue pour montrer à quel point vous êtes riches et important, mais dont personne ne serait capable de se souvenir pourquoi. D'emblée, ce personnage ne lui inspirait pas confiance.
Kyra avait un certain problème avec les nobles depuis qu'elle réchappa à certaines tentatives d'assassinat lorsqu'elle était enfant. Encore aujourd'hui, une minorité complotaient contre elle, mais pour Kyra il ne s'agissait que de ragots sans importance.
Elle le fixa de son regard le plus glacial.

_Je m'appelle Anthèlme, décida celui-ci de répondre, toute trace d'ironie désertant son visage. Je suis le représentant des membres de la noblesse sécuritaire de Kaminoi.
_Cette fonction n'existe pas. Contra Kyra en osant pouffer de rire. Vous devez confondre de royaume. Kaminoi m'appartient, et peu nombreux sont les nobles pour qui j'ai eu la faiblesse de laisser une once de pouvoir.

Deux gardes firent leur apparition dans les bureaux de Kyra. Elle les aurait bien réprimandés pour avoir commis l'erreur de laisser cet individu lui faire perdre son temps, mais elle jugea plus important de commencer par faire congédier cet intrus. Plus tard pour la distribution des blâmes.

_Vous vous êtes présenté, dit-elle de son intonation la plus diplomatique, maintenant sor...

Kyra ne termina pas sa phrase. Les gardes venaient de contourner Anthèlme sans même lui accorder un coup d'œil suspicieux, préférant garder cette option pour l'adolescente soudainement en alerte.

_Virez-moi ça ! Répéta Kyra avec plus d'insistance dans la voix.
_La noblesse sécuritaire fut récemment créée par maître Nao pour gérer la crise politique actuelle, l'informa le noble comme une simple formalité.
Le nom de Nao fit frissonner Kyra d'une angoisse difficilement contrôlable. Aussi, l'adolescente ne s'y laissa pas distraire.
_Vous savez ce qui vous attend messieurs si vous désobéissez à un ordre direct, menaçait-elle ses gardes dangereusement à portée de bras. Faites-moi sortir cet imposteur sur le champ !
_En l'occurrence ma chère, vous êtes l'imposteur, et le demeurerez jusqu'à fournir la preuve de votre haute fonction à la tête du royaume.
_ C'est quoi ces conneries ?! Ne put-elle s'empêcher de répliquer vulgairement, toute trace du devoir diplomatique envolé. Que faites-vous de mon père ? Il en est la preuve vivante à lui seul, puisque je suis son héritière. Le peuple était lui-même présent lors du tournois présentant ma prise de hautes fonctions. Le papier n'est qu'un symbole pour rassurer les nobles hautains que vous êtes.
_Il est vrai que la disparition récente de Maitre toki n'est pas pour faciliter les problèmes de gouvernance du royaume. Par ailleurs, Kaminoi n'a jamais été une monarchie héréditaire, contrairement à ce que voudraient nous faire croire les vieilles habitudes de ses dirigeants. Sans Maitre toki pour vous donner les directives à suivre, beaucoup pensent qu'il serait imprudent de vous laisser gérer seule les affaires du royaume. Le conseil sécuritaire à voté pour le bien du peuple.
_Alors nous y voilà... Les nobles cherchent une fois de plus à s'approprier le pouvoir qu'ils ont perdu. Et par « beaucoup », j'imagine que vous faites référence à Nao.

L'un des gardes tenta d'attraper Kyra par l'épaule, mais celle-ci riposta en exécutant une clef de bras suffisamment douloureuse, pour faire comprendre à ce grand gaillard qu'elle n'aurait pas de mal à le lui briser. Le second se jeta sur elle, mais il fut ralenti par celui que Kyra venait d'envoyer rouler à ses pieds.

_Sans les documents appropriés vous perdez pouvoir et autorité sur Kaminoi, et donc sur vos gardes ainsi que la milice du royaume, décréta Anthèlme comme si il échangeait un verre de vin avec elle. En résistant à votre arrestation, vous ne faites qu'aggraver les chefs d'accusations de votre imposture.
_Cette supercherie vous coutera très cher. Nao était précepteur littéraire de l'école Choujo en son temps. Il n'a jamais pu digérer le fait que je le menace de le virer quand j'avais dix ans.
_Peut-être parce que justement, vous n'en aviez aucun droit. Et déjà alors, vous outrepassiez vos droits...
_Mon père a tout de même jugé bon de lui retirer ses fonctions ce jour là. Et plusieurs années plus tard, voici que Nao revenait à la charge en essayant de saboter ma prise de hautes fonctions et en attentant à ma vie. Et maintenant ça... Anthèlme, vous vous rendez ni plus ni moins complice d'un coup d'état dicté par les vieux sentiments d'un vieux psychopathe frustré.

Les gardes s'apprêtaient à revenir à l'assaut de manière plus réfléchie, mais le vieux noble les arrêta d'un simple geste. Cette preuve d'autorité mal placée mit Kyra dans une rage folle, mais Anthèlme continuait de parler aussi distinctement et calmement qu'un adulte essayant d'expliquer à un enfant pourquoi il est l'heure d'aller se coucher.

_Votre père, encore lui... Est-il ici aujourd'hui, pour approuver votre version des faits ? (Un rictus en biais illustrait toute l'ampleur de sa question rhétorique). Tout ce que vous avez à faire finalement, c'est de nous prouver la légitimité de votre place grâce aux documents officiels signés de la main de Maitre toki.
Cette dernière réplique fit éclater de rire l'adolescente. Ces documents, elle venait justement de les détruire par inadvertance.

_Et si je ne les ai pas ?
_Nous continuons l'arrestation.
_Comme c'est pratique !

Un sourire narquois vint dérider le visage d'Anthèlme ; expression fugace traversant son visage. L'espace d'un demi-battement de cœur, Kyra aperçut la jubilation que ressentait ce noble qu'elle n'avait encore jamais rencontré auparavant, et qui pourtant venait de s’accaparer de son statut sur le royaume en seulement quelques phrases. Alors, Kyra comprit qu'elle avait perdu.

_Par les pouvoirs qui me sont... (Aucunement besoin d'attendre le déroulement du document officiel : Kyra fuyait déjà.) Saisissez-là !

Un bruit de verre éclaté accompagnât la défenestration de Kyra. Projetée par la détente de ses propres jambes, elle s'efforçait de ne pas penser à la douleur provoquée par les roulements de son corps contre les toits en contrebas.
Ce fut la dernière vision qu'eurent les gardes du courant d'air de son échappatoire.
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptySam 3 Déc - 21:45

***
Chapitre 2 : L'alchimiste



Les bulles colorées formées par les rejets d'une série d'alambics accompagnaient les effluves sucrés qui envahissaient l'atelier. La combustion du produit fût méthodiquement réduite de manière à éviter la propagation d'une fumée potentiellement dangereuse. Ne jamais sous-estimer le pouvoir de certaines plantes, quand bien même réduites à l'état de simples pétales dilués dans un cocktail de produits chimiques. Après tout, l'alchimiste ne se constituait pas moins qu'une réserve de poudres fumigènes.

_Abracaedia ! S'écria t-elle devant l'apparition d'une nouvelle nuée de nuages multicolores.

Comme par l'enchantement invoqué par ce mot, une masse traversa le plafond de bois qui éclata sous le choc. L'alchimiste bondit de surprise en réprimant un premier cri, autant de stupeur que de colère. Elle ne parvint cependant pas à retenir le second cri qui bousculait ses cordes vocales en ces mots : Qui ose !!

De petites plaintes s’échappèrent des décombres formées par le tas de planches brisées. Si il lui restait suffisamment de force pour se plaindre, cela signifiait que l'individu ne souffrait pas encore assez pour avoir risqué de détruire les créations de l'alchimiste.
Lorsque la poussière s'estompa à travers le trou du plafond en compagnie des effluves alchimiques, Kyra se redressa difficilement devant le regard incrédule de sa demie-sœur.

_Aie... Désolée pour ça.
_Tu as manqué de tout détruire, idiote !
_La milice est à ma poursuite, révéla Kyra sans préambule, ce qui rendit la petite alchimiste aux cheveux turquoises suspicieuse.
_Ça tombe sous le sens... Quand on sait qu'il te suffit de leur ordonner d'arrêter !

Cela paraissait tellement logique. Confuse, Kyra ne répondit pas immédiatement. Elle réfléchissait à un moyen de s'évader de ses propres terres afin d'aller quérir de l'aide. Sa sœur ne lui en laissa pas le temps. Sans pour autant comprendre la gravité de la situation, celle-ci commençait déjà à remplir le sac à bandoulières de Kyra de diverses potions.

_Voila pour te défendre. Les rouges sont incendiaires. Les vertes sont corrosives. Les bleues revitalisent. Je terminais les fumigènes violets avant que tu ne t 'écroules à mes pieds. C'était pour libérer Navi, mais...
_Kaerïss ! L'arrêta Kyra. Kaminoi est sous le joug d'un coup d'état et papa reste introuvable. Les nobles ont pris le contrôle et veulent me faire arrêter pour usurpation de pouvoir !
_C'est complètement ridicule...
_Complètement. Viens, il faut partir !
_Et pour Navi ?

La petite fée cornue, rejetée par son essaim de fée depuis une belle éternité, avait récemment décidé qu'il lui fallait changer de vie. Maintenant que Kyra et Kaerïss étaient trop grandes pour avoir une gouvernante, elle avait ressenti un besoin grandissant de faire à nouveau parti d'une famille de petits-êtres enchantés.
Navi ne l'aurait jamais avoué, mais son essaim de fée lui manquait terriblement. Un manque plus physique encore qu'affectif. En vérité, une fée n'est pas supposée vivre loin de son essaim, auquel cas elle risquerait tout simplement de s'éteindre comme une étoile morte dans le ciel.
Lorsque Navi tomba sur un clan de trolls des bois en quête d'une nouvelle divination à louer, la petite fée en avait adoré l'idée. Les trolls vivaient à l'intérieur d'un chêne millénaire entouré de roses rouges, gardé par une meute locale de lycanthropes. Autant dire un coin de paradis rêvé pour une fée narcissique en manque de chaleur magique. La pauvre ignorait simplement que pour les trolls des bois, louer une divinité s'apparentait à la manger afin d’en acquérir toute sa quintessence.
Navi dû redoubler d'inventivité pour convaincre sa tribut que la dévorer n'était pas nécessaire. Certes, ils pouvaient toujours la faire cuir et se délecter autant de son goût sucré que de son essence divin, mais cela ne serait qu'un effet provisoire. Tandis que si ils choisissaient l'option de laisser leur déesse sur son trône sans la dévorer, Navi leur promettait de leur distribuer quotidiennement une dose de magie incroyable. Les trolls avaient vite saisi leur intérêt de ne pas manger leur fournisseur de stupéfiants, et Navi continuait de se faire vénérer, se nourrissant autant de leur idolâtrie que de leur chaleur magique naturelle.
Cela semblait parfait sur le papier, mais les trolls n'avaient finalement pour trône de divinité qu'un ficelage autour d'une broche. Navi restait donc prisonnière de son bûcher, négociant l'interdiction de l'embraser que par la distribution généreuse de sa magie Morphée.

_Les trolls des bois devront attendre, poursuivit Kyra, Navi sait se défendre.
_Trop de choses disparaissent en même temps pour que ce soit une coïncidence, tu sais.

Kaerïss n'avait pas tord. Kyra se sentait tellement sotte de n'avoir rien vu venir ! Tout semblait lui tomber dessus d'un coup, comme si son monde était construit sur un ballot de pailles et qu'on venait d'y mettre le feu.
Une brute armée défonça la porte de l'atelier d'un coup d'épaule. D'autres auraient choisi un bon coup de pied, mais l'armure du garde était bien trop lourde pour ce genre de manœuvre subtile.

_ QUI OSE !!! Redoubla Kaerïss de colère.

Cette vision d'apocalypse dans son univers confiné venait une nouvelle fois d'ébranler les cordes vocales de l'alchimiste. Sa vie entière se résumait à cet atelier dont elle en avait dessiné les schémas étant enfant. Si elle devait passer sa vie sans dévoiler que Maitre toki était son père, Kaerïss avait décidé de se créer un endroit où elle pouvait étaler sa vraie nature sans se soucier des apparences. Cet atelier d'alchimiste était devenu son second foyer. Un cocon dans lequel se réfugier. Certains ont un jardin secret ; Kaerïss avait un atelier.
En toute intimité derrière les parois sécurisantes de son refuge, elle se confiait régulièrement jusqu'à son treizième anniversaire à son journal intime, largement modifié par alchimie pour en éviter toute intrusion. Un jour, des gobelins devaient certainement avoir tenté de l'ouvrir, car elle avait découvert quelques-uns de leurs restes sur le plancher. Cruel mais efficace. Sa sécurité n'avait pas de prix, lui répétait son père.
Depuis sa plus tendre enfance déja, Kaerïss développait cette créativité intelligente qui lui promettaient un avenir d'ingénieur. En continuant sur cette voie, les plus grands rois de l'empire finiraient par lui convier ses services dans la construction de magnifiques citadelles et palais royaux. Cependant, l'avenir qu'on lui réservait était tout autre, si bien que ses parents n'eurent d'autres choix que de préserver son anonymat. Seul un cercle bien fermé de personnes connaissait la vérité. Si l'on apprenait que Kyra avait une sœur, les rumeurs sur la réincarnation des Déesses de pierres pouvaient leur couter la vie à toutes les deux.
Kaerïss avait quatorze ans à présent, et cela faisait plus d'un an que son père lui promettait la fin des cachoteries. Il n'avait pas prévu qu'un raz de marée engloutirait Ekarys ce jour là, obligeant le royaume de fuir pour se réfugier sur l'ile de Tecil où ils vivaient désormais. Les signes à venir annonçant le réveil de l'Animato avaient simplement tué toute idée de révélation sur l'identité de Kaerïss, la clandestine.

La colère illumina la peau de Kaerïss d'un hale la faisant paraître translucide. Le garde ayant suivi Kyra jusqu'ici ne se couvrait pas le visage d'une main en visière, mais ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Une main posée sur la garde de son épée, l'autre tendue innocemment paume vers le haut comme une invitation à danser - mais qui était loin d'en être une - il supplia presque :

_S'il vous plait Kyra, ne résistez pas d'avantage. Cela me ferait plus mal qu'à vous de devoir utiliser la force.
_En effet, confirma l'adolescente.

La peau de Kaerïss projeta une onde de lumière cinglante dans l'atelier. Aveuglé, le garde était incapable d'esquiver la potion verte lancée par Kyra, qui se brisa contre son armure. Les yeux révulsés par réflexe pour contrer l'illusion d'éblouissement invoquée par sa sœur, Kyra bondit sur le garde et lui arracha sans effort son plastron largement dégradé par la corrosion invoquée. Au coup suivant, l'adolescente lui plantait son genou dans le plexus, et le garde s'effondra contre une rangée de fioles venant s'éclater contre son visage écorché.

_Mes fumigènes !! Explosa Kaerïss. Mes potions !! Mon travail !! (Kyra courra vers elle avant de lui saisir les poignets en la regardant droit dans les yeux, sans parvenir pourtant à placer un mot la première). T'es vraiment qu'un ours ! Regarde dans quel état t'as fichu mon atelier !
_Ton atelier n'est plus un endroit sûr désormais, tenta Kyra de la raisonner. Il faut partir. Te mettre à l’abri le temps que je trouve papa.
_C'est ici mon abri ! (Kaerïss secoua la tête comme pour évacuer toute sa colère la plus profonde). Tu ne le trouveras pas Kyra. Ou pas assez vite. C'est Sensei qu'il faut aller chercher.
_Tu ne penses quand même pas... ?
_Je vois que ça ! Coupa t-elle avant de continuer d'exposer sa réflexion.
Ecoute, je pourrais même le vieillir avec une potion pour qu'on ne puisse plus le différencier de papa.
_Alors je pars. Mais s'il te plait, cache toi dans un endroit sûr.
_Ce temps là est révolu, décréta Kaerïss. Mon atelier n'est plus ; je ne me cacherai plus. C'est terminé. Ça fait quatorze ans... ras le bol ! Il ne reste plus que toi et moi, et tu ne pourras pas traverser les terres des Elfes Noirs sans mes glamours. Regarde !

Kyra tourna la tête, découvrant deux nouveaux agents de la milice du royaume qui venaient d'entrer dans l'atelier. L'un d'eux giflait l'homme évanoui pour le réveiller, tandis que l'autre explorait la cabane d'un regard sombre. Aucun ne semblait remarquer la présence des deux adolescentes pourtant bien en vue au centre de la pièce.
La capacité principale de Kaerïss était d'utiliser ses glamours personnels afin de modifier, façonner son apparence. Il ne s'agissait que d'illusions, rien de concret. Mais si la honte ou la peur lui commandaient de disparaître, alors aux yeux des autres, elle devenait effectivement invisible. Kaerïss étendait son glamour autour de Kyra grâce au contact de leurs mains jointes. Cette dernière ayant la capacité de traverser n'importe quelle illusion, du moment qu'elle utilisait sa double-vue d'un simple regard révulsé. Leurs dons pratiques résultaient de l'héritage génétique d'un père illusionniste.
Kaerïss avait raison une fois de plus. Il était plus que temps pour les descendantes des Déesses de pierre d'unir leur force et de découvrir leurs réelles capacités.
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyJeu 8 Déc - 12:17


***
Chapitre 3 : Le néant



S’échapper d'un royaume n'est jamais chose aisée. Et lorsque ce royaume est le votre, faire preuve de discrétion est encore plus difficile. Par chance, quelqu'un allait tricher.
Avant la fuite, Kyra tenait avant tout à s’entretenir avec ses trois généraux, ce qui obligeait les deux sœurs d'entreprendre quelques détours. Main dans la main, elles couraient à perdre halène à travers les rues et chemins de Kaminoi en direction de la tour martiale. Ce n'était pas si éloigné de l'atelier de Kaerïss qu'il n'en paraissait, en réalité. Mais les efforts physiques qu'elle devait fournir diminuait la puissance de leur invisibilité, contraignant Kyra de ralentir le pas. Si leurs mains jointes permettaient d'élargir le camouflage de Kaerïss pour englober Kyra à l'intérieur, au moins Kaerïss, tirée vers l'avant par sa soeur, était capable de la ralentir lors des moments critiques.
Elles avaient découvert à leur dépend que, si Kyra pouvait très bien passer sous le nez de n'importe qui sans qu'on puisse s'en apercevoir, lorsque leur souffle ou leurs pas se faisaient trop bruyants, Kaerïss ne parvenait plus à brouiller les perceptions visuels dans ses concentrations. Apparition fugitive de deux fantômes rouges et turquoise, les cheveux au vent, le regard ahuri, une expression d'urgence imprimée sur leur visage.

Les généraux Teia, Micah et Morgane n'allaient pas accompagner les deux sœurs, mais récolteraient chacun de leur cotés des informations sur le déroulement du coup d'état. Ils se rapprocheraient du conseil et détruiraient leur organisation de l'intérieur. Voilà ce qu'espérait Kyra. Les choses ne seraient jamais aussi simples, mais c'est pourtant la conduite qu'elle leur dicta. A défaut, ils seraient ses yeux et ses oreilles le temps de trouver Sensei en Ker’Agane, le pays des Elfes Noirs.
Dans leur grande arrogance, les nobles prendraient certainement pour acquis que tous les généraux du royaume se plieraient à leurs exigences. C'était sans compter sur le fait que Kyra  s'était forgée des alliés au prix du sang. Une matière beaucoup plus précieuse et significative que n'importe quel document officiel.
La réunion d'urgence fût interrompue lorsqu'un noble assez jeune fit irruption dans les quartiers généraux de la tour martiale. Soudainement prises en chasse par leurs trois alliés, Kaerïss et Kyra ne laissèrent aucune chance au jeune noble en le percutant de plein fouet. Il bascula en arrière et tomba lourdement  au sol, son bras droit formant un angle improbable sous son dos.
Kaerïss estima qu'elle pouvait ralentir sa course pour féliciter le réflexe des généraux de Kyra, qui la tira violemment par le bras pour l'en dissuader. Hors de question de briser leur couverture aussi tôt. S'ils voulaient paraître crédibles, les généraux devaient continuer leur poursuite aussi farouchement que pour de véritables assassins. Kyra espérait en son fort intérieur que le jeune noble serait encore assez naïf pour raconter aux autres la version des faits qu'ils venaient de lui mettre en scène.

Fuyant la salle des stratégies, les sœurs grimpaient jusqu'au plus haut de la tour. Les muscles de leurs jambes les brulaient, tellement les marches étaient nombreuses. On avait placé le hangar aux dragons de combat au sommet de la tour de telle sorte qu'en cas de crise, il ne restait plus qu'aux généraux d'emprunter cet accès unique une fois la stratégie de combat mise en place. Ce même accès que les adolescentes venaient d’emprunter lorsqu'elles bondirent sur le dos de Morpah, le dragon de Kyra.
Surpris, l'animal prodigieux afficha son mécontentement en se dressant sur ses pattes arrières. Son cri guttural fît trembler les murs de l'enceinte. Le bandeau rouge en écailles de dragon que Kyra portait autour du front paraissait s'affoler de toute la puissance du béhémoth. Il permettait à l'adolescente, à l'instar de son père, de communiquer avec ces créatures tel un cavalier avec sa monture. Kaerïss également possédait un bandeau lui cerclant sa chevelure aussi bleue-clair que ses yeux. Il descendait le long de son dos comme une longue tresse argentée, alors que celui de Kyra  ne tombait pas plus bas que ses épaules. Plus jeune, alors qu'elle ne maîtrisait pas encore le glamour volontairement, Kaerïss utilisait cet artifice afin de dissimuler aux autres la finition pointue de ses oreilles d'Elfe. Camoufler les origines qu'elle tenait de sa mère n'était plus à l'ordre de jour, mais si l'envie lui prenait, son glamour s'en chargerait sans problème.
Morgane eut le bon goût d'invoquer quelques effets spéciaux pour accompagner l'envol du dragon. Elle prouvait par la projection de ses lances électriques à quel point elle serait impitoyable si l'une d'entre elles atteindrait sa cible. Kyra n'eut aucun mal à commander son dragon pour esquiver les éclairs suffisamment espacés, non sans prier les Déesses de pierre pour que ces manœuvres feintées ne soient pas trop flagrantes.

Le ciel de Kaminoi fût soudainement couvert par une chaine de masses sombres, flottant avec aisance tel des nuages animés. Leurs puissantes ailes créaient les bourrasques annonciatrices d'une tempête à venir. Comme hypnotisés par le chant d'une sirène, les dragons du royaume n'éprouvèrent aucune résistance à l'appel des sœurs qui conjuguaient leurs efforts pour empêcher la milice de les poursuivre à travers les cieux. Les dragons que personne ne pourrait plus chevaucher serpentaient telles des vagues colorées s'élevant au dessus des nuages. Les ombres s'épaissirent à mesure ou leur nombre augmentait, puis la lumière fit son grand retour, le vent se tût ; les sœurs et leur armée venaient tout juste de s'éclipser dans la clarté du ciel bleu.

La grandeur que l'on peut ressentir à dos de dragon est une ivresse digne des nectars les plus chargés. Les muscles puissants de la bête se mouvant avec force par votre commandement ne sont plus que la continuité du contrôle de votre propre corps. De quoi noyer pas mal de neurones pour la plupart des gens sous cette vague de puissance absolue. Avec ce sentiment de liberté indescriptible provoqué par la majesté de votre monture, voler au dessus des nuages ne parait plus tant démesuré que parfaitement approprié. Une personne non initiée aurait vite fait de perdre le contrôle de ses prises de risques, les multipliant en toute inconscience, tel l'ivrogne convaincu qu'il lui reste suffisamment de dextérité pour entreprendre l'aventure de grimper sur la table, sans penser un seul instant qu'il finirait par terre avant de comprendre les faiblesses des lois de la gravité.
Kyra n'était pas de ceux-là, malgré la chaine majestueuse qui la précédait.
Le peloton de dragons s'estompait à mesure où l'adolescente dirigeait Morpah en direction du volcan central de Tecil. Là-bas se trouvait l'antre des Dragons Maudits, composés d'Hommes et de Dragons en parfaite symbiose, tels que l'étaient Kyra et Morpah. Les béhémoths semblaient peu enclins à s'approcher du ciel environnant le volcan. Comme un homme de religion refusant de souiller une terre sacrée, tous les dragons finissaient par rebrousser chemin. Ou peut-être n'avaient-ils que senti l'horreur provoquée par ce qui ressemblait au premier coup d’œil, à un dérèglement climatique.

Le gris cendré du ciel contraignit Kyra d'ajuster l'altitude de son vol en descendant sous les nuages. Arnachée à son dos d'une étreinte étouffante, Kaerïss évitait de penser au tableau animé de paysages resplendissants défilants sous leurs pieds. Ce n'est qu'une peinture, se répétait-elle. Ce n'est qu'une peinture inoffensive dans laquelle il serait impossible de tomber. Un tableau ne provoque pas le vertige. Pas le vertige. Le vide n'est qu'un trompe-l’œil.
Et cette méthode fonctionnait ! Du moins le manque de vision provoqué par une pellicule de flocons réduisait graduellement l'attraction hypnotique du vide.
Nous étions en plein été, mais une neige recouvrait les hauts édifices des Elfes Noirs de son manteau poudreux. Sa présence hors saison troublait autant les jeunes sœurs que l'absence de chasseurs elfiques dans le ciel.

Morpah atterrit sans encombre dans ce paysage surélevé de bâtiments faits de pierres et de métal noirs. L'architecture pointue de la citée se voulait menaçante, de manière semblait-il à effrayer les bandits éventuels dès le premier coup d’œil. L'effet était plutôt réussi. Les tours d'ébène transperçaient la neige comme des griffes sombres déchirant un drap blanc. La pierre saignait d'un métal luisant les faibles réverbérations que le soleil parvenait encore à refléter à travers la couche de nuages orageux. Quoi qu'il fût difficile de déterminer si la pierre devait solidifier les bâtisses en consolidant les constructions métalliques, ou si le métal recouvrait la roche de montagnes existantes.
Un silence oppressant envoutait les rues et constructions de Ker'Agane. Seul le vent trouvait le moyen de se moquer des intrus par son rire sifflant dans les courants d'air. Il n'était même pas froid malgré les petits flocons blancs qu'il transportait dans le tourbillon de poussières cinglant leur visage.
Kyra se laissa tomber de sa monture dans ce paysage de désolation. Elle découvrit que la neige grimpant jusqu'à ses chevilles n'en n'était pas.

_De la cendre...
_Que se passe t-il ici ? S'interrogeait Kaerïss, le souffle court. Si je n'étais pas aussi intelligente, j’aurais déjà conclu que le volcan avait tout détruit sur son passage.

Kaerïss vit les yeux de Kyra se révulser à la recherche de fantômes. Si Ker'Agane était en cendres, il devait forcément y avoir des morts quelque part.

_C'est le néant.
_Moi non plus je ne pourrais rien voir si je louchais comme toi, se moqua Kaerïss en sautant du dragon.

Cette réplique tintée d'ironie aurait très bien pu sortir de la bouche de leur père. Mieux vaut un peu d'humour et de second degré lorsque les choses commencent à devenir dérangeantes, que de céder place à la folie. Une leçon de vie que Maitre toki enseigna à Kaerïss sans même s'en apercevoir.
Jusqu'alors, elle utilisait son journal intime comme d'un exutoire. Mais depuis le jour de ses treize ans, Kaerïss décida qu'elle était assez grande pour s'en passer. Ce qui n'empêchait pas l'adolescente de se montrer certaines fois terriblement pragmatique pour son age.

_Ce n'est pas que je ne vois rien, corrigea Kyra. Il n'y a rien dans l'autre monde. C'est comme si quelque chose avait... fait le ménage. Jusque dans la lumière elle-même.
_En tout cas, dans le monde réel on se croirait tellement en hiver que j'ai l'impression que je devrais avoir froid et que je ne tarderai pas à tomber malade, et pourtant non.

Kyra retrouva sa vue normale avant de s'emparer d'une poignée de cendre blanche.

_ Ça colle un peu aux doigts, ce n'est pas de la cendre.
_Ce n'est pas de la neige, ce n'est pas de la cendre, c'est... ?

Kyra ne répondit pas tout de suite. Elle préférait se taire plutôt que de dire une bêtise, finissant tout de même par comprendre qu'elle détenait la bonne réponse en annonçant :

_Un concentré de résidus fantomatique.
_De l'ectoplasme ?! Incroyable ! S'extasia Kaerïss en dégainant une petite pelle comme venue de nul part. Il faut absolument que j'en garde quelques échantillons.

Perdue dans cette fascinante découverte, Kaerïss en oubliait complètement la raison de leur présence sur ces terres désolées. Enfant surprotégée à la découverte du monde, elle remplissait avec passion une petite bourse de cette neige cendrée captivante dont il lui tardait d'en découvrir les propriétés alchimiques. Elle n'avait simplement pas conscience de la puissance nécessaire à invoquer pour éradiquer toute vie spectrale sur une surface telle que la cité de Ker'Agane. Tout ce qui importait, c'était ses futures recherches alchimiques.
De son coté, Kyra en avait plutôt une vague idée puisque toute sa vie, elle fût préparée et entrainée à combattre ce genre de manifestations paranormales. Elle continuait alors d'investir les horizons aussi précisément que possible, avec et sans double-vue, de manière à sonder parfaitement son environnement.
Un frisson d'angoisse lui parcouru soudainement la peau. Une sensation à mi-chemin entre un fourmillement et une brulure légère qui lui grignotait la colonne vertébrale. Un étau de pensées lugubres tentait d'écraser son esprit comme pour la dissuader de creuser d’avantage. Elle persista tout de même, bravant le matraquage de visions cauchemardesques qui tentaient d'ébranler les facultés de son corps à faire la différence entre les deux mondes. Les images lui renvoyaient Sensei combattant comme un diable avec les Efles Noirs, une force capable de retourner l'esprit des morts contre vous. Sorte d'avertissement sur ce qui l'attendait si elle parvenait à découvrir la vérité.
Kyra ne possédait aucun don de médium, ce qu'elle considérait suffisant pour prouver qu'on attaquait délibérément sa force mentale. Quelque chose tentait de lui faire rebrousser chemin. C'était bien la sous-estimer que de jouer ainsi avec ses peurs.
En se demandant alors ce qui pouvait bien être parvenu à Sensei qui vivait ici depuis dix ans, Kyra arriva à la conclusion la plus évidente. Puisqu'elle ne trouvait aucun signe de vie dans les deux plans de réalité, aucune trace de lutte, seulement le néant, c'est que personne n'avait disparu...

_Ils se cachent, dit-elle à voix haute.
_Qu'est-ce que tu dis ? Se réveilla Kaerïss en relevant la tête vers sa sœur.
_Les Elfes noirs ont forcément senti approcher ce qui a fait ça. C'est dans leur nature. Comme ils ne pouvaient la voir, que la combattre était vain, alors ils ont rusé. Ils sont toujours là, quelque part.
_Ils sont sous terre, affirma Kaerïss. Enfin, moi c'est ce que je ferais si mon glamour n'était pas suffisant pour me cacher.
_Et si tu n'avais pas la phobie des vers, se cru bon d'ajouter Kyra comme pour souligner le comble de cette alchimiste qui risquait de tourner de l’œil, si elle continuait de fouiller la terre ainsi.


Dernière édition par Maitre Toki le Mar 6 Aoû - 23:18, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyMer 14 Déc - 22:49


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Chapitre 4 : Les Elfes Noirs



Sous terre. Des limbes obscures. Des tunnels étriqués. Une Reine à le peau d'ébène et aux yeux illuminés d'une colère blafarde.
Dans les ombres scintillantes de cette lumière, le visage marqué de Sensei arborait une expression grave et terrifiante. Les ombres folles caressaient sa peau comme une nuée de serpents frétillants. Les yeux de la Reine éclairaient le chemin de son peuple telle une colonie de fourmis inépuisables, tandis que Sensei la guidait à son bras comme une aveugle. En invoquant la lumière criarde à travers son regard, Darlyssa n'y voyait rien.
Reine de Ker'Agane que depuis peu, elle n'était encore que princesse héritière lorsque son destin croisa celui du double de Maitre toki. Quatorze ans plus tôt, Sensei et Darlyssa s'étaient rapproché dans la souffrance et la torture orchestrées par un druide Haut-Elfique schizophrène. Lorsque Darlyssa accéda au trône, personne d'autre que Sensei ne méritait à ses yeux que d'être choisi pour devenir son roi.
Darlyssa était la Reine régnante. Et Sensei, qui était humain, n'était roi que par définition. L'époux de la Reine. Les Elfes Noirs le respectaient grandement mais toute autorité passait forcément par la Reine.

_On nous marche sur la tête, révéla celle-ci d'une voix qui ne trahissait aucune émotion.
_Une métaphore pour dire qu'il y a quelqu'un dans la cité ? Traduisit Sensei en la dévisageant du coin de l'oeil.
_C'est ce que font les Reines, n'est-ce pas ? Des métaphores.
_Tu as sans doute raison, confirma Sensei en lui adressant un sourire qu'elle ne pouvait voir de ses yeux illuminés.
Darlyssa lui rendit ce sourire, comme si en dépit de sa cécité elle parvenait à ressentir les émotions de son roi.
_Nous pouvons attendre avant de refaire surface si besoin. Nos guerriers sont encore pour le moins démunis.
_Les Elfes Noirs ne sont jamais démunis ! Contra la Reine. Néanmoins, il faut savoir faire preuve d'intelligence face à certains démons.
_Alors Il revient à la charge...
_Non, ce n'est pas Lui. Pour l'instant, nous n'avons plus à nous en préoccuper, mais je pense que tu seras surpris par la visite impromptue de tes filles.
_Kyra et Kaëriss ne sont pas mes filles, démenti Sensei.
_Elles auraient dû l'être, persista Darlyssa.
_Je suis quelqu'un de beaucoup plus différent que je n'aurais dû l'être. Une même personne, placée dans deux environnements parfaitement distincts, est forcément différente. J'ai quitté Kaminoi précisément pour cette raison. Je ne pouvais plus me regarder grandir et vieillir, et vivre comme j'aurais dû le faire à travers un autre corps. Alors non, ces enfants ne sont pas les miens. Ce sont les siens.
_Dans la forme, peut-être bien, concéda Darlyssa. Mais dans le fond, Maitre toki et toi avez les mêmes aspirations. Il a épousé une Reine, tout comme toi. Et bien que cela me coûte de le dire, aussi Haute-Elfe soit-elle, Gwaedia n'en reste pas moins une Elfe, tout comme moi je le suis également. Une Reine et une Elfe. A votre manière, vous êtes tous les deux des rois.
_Mais nous n'avons pas eu d'enfant, Darlyssa.
_Évidemment, puisque c'est lui qui les as eus !

La discussion se plongea dans le silence, mettant un terme à un débat sans fin qui se poursuivrait vraisemblablement plus tard. Sensei détestait qu'on puisse encore le prendre pour Maitre toki. Non pas qu'il se détestait assez pour cela, mais il n'est jamais agréable de voir son destin nous filer entre les doigts pour se voir accompli par un autre. De la jalousie envers son double, Sensei en avait parfois ressenti, mais il s'était fait une raison.
Maitre toki : il ne l'était plus depuis ses quinze ans, lors de la mort de sa mère. Aujourd'hui encore, Sensei avait parfois du mal à comprendre ce qu'il était vraiment. Pas une illusion, puisqu'il possédait lui même sa propre conscience. Pas un fantôme, puisqu'en plus d'être en vie, le temps lui prouva qu'il pouvait également vieillir et souffrir. Maitre toki l'avait simplement implanté accidentellement dans son époque, ce qui pour Sensei équivalait à un bond temporel de cinq ans dans le futur.
Voyager dans le temps n'avait jamais fait parti des pouvoir d'un illusionniste. Alors, si Sensei était bel et bien fait de chair et d'os, qu'il était aussi réel et concret que depuis toujours ; se pouvait-il que le monde qui l'entourait soit le véritable imposteur ? Cela semblait peu probable. Et pourtant, la douleur provoquée par cette hypothèse qu'il ressassait chaque fois que Darlyssa et lui débattaient sur son individualité, estropiait son cœur de doutes et d'une profonde amertume.
« Je suis le roi de Darlyssa Hel'Agane, Reine de Ker'Agane. Je suis Sensei Hel'Agane. »

La terre trembla imperceptiblement, mais cette simple secousse avait suffi pour effrayer le dragon qui brassait l'air de ses ailes afin de quitter la terre ferme. Kyra l'attrapa par son encolure, mais ce ne fût pas moins sa persuasion mentale que ses compétences physiques qui maintenait l'animal au sol dans une bourrasque de poussières blanches.
Ce lien qui unissait Morpah à Kyra était une particularité propre aux membre des Dragons Maudits, cette Guilde impérialement connue et reconnue fondée en partie par son père, dont elle exerçait les plus hautes fonctions en même temps que Kaminoi sur Tecil.
Une fissure décrivit un sillage dentelé qui s'ouvrait dans la terre ; sorte de gueule béante appartenant à un  monstrueux canidé. Un dénivelé s'enfonçait comme une langue dans l'apparition de cette gorge obscure, de laquelle surgissait une boule de lumière au devant d'une forme sombre et sinueuse qui serpentait en silence dans les méandres de la crevasse.
La lumière mourut en un éclair, laissant place au regard froid et impassible de la Reine. Darlyssa fixait les deux adolescentes, les défiant du regard de s'opposer à sa toute puissance et à celle de son peuple.

Kaerïss trembla légèrement en retrait derrière sa sœur qui elle, connaissait parfaitement les règles à suivre avec ces gens au caractère peu sociable. Une partie de la garde royale se détacha avec souplesse de la colonie d'Elfes Noirs crachée par les entrailles de la terre pour venir encercler les deux sœurs. Leurs arcs, aussi sombres et finement travaillés que leurs flèches d'ébènes, pointaient en direction de leur têtes. Inhumainement immobiles, les membres de la garde royale semblaient capable de tenir cette position indéfiniment.
Le problème avec les Efles Noirs, c'est qu'il faut toujours les laisser se placer en position de force si l'on souhaite traiter avec eux. Dans leur culture, considérer l'étranger face à vous comme un ennemi dangereux est un gain de temps considérable : conséquence d'un nombre incroyable de guerres cumulées depuis toujours. Vous aviez tout le loisir de prouver votre valeur à leurs yeux impitoyables plus tard, une fois dans l'incapacité totale de les nuire. Graver ensuite les échelons du dédain, de la neutralité, de la sympathie puis de la confiance, devenait un long chemin fastidieux dont le temps nécessaire à y consacrer ne serait alors plus leur problème. Si les Elfes peuvent vivre plusieurs centaines d'années, ce n'est rarement le cas des humains.

_Vous outrepassez de loin les frontières de votre territoire pour piétiner le mien.

La voix puissante de la Reine se répercutait sans aucun mal contre les édifices métalliques de la cité, comme si les architectes avaient conçu Ker'Agane de manière à exploiter le coffre de leurs souverains pour les mettre en valeur lorsqu'ils s'expriment aussi bien à leur peuple qu'à leur plus grand ennemi. Encore que décréter un peuple ou une nation « pire ennemie des Elfes Noirs », resterait pure spéculation tant il était difficile de mériter un statut inoffensif à leur égard. Ce n'était pas de la paranoïa. Il n'y avait aucune maladie mentale à souligner dans ces mesures de précautions extrêmes. Seulement un différent culturel.

_Salutations Darlyssa, Reine des Elfes Noirs de Ker'Agane. Nous venons pacifiquement à vous afin de solliciter une audience au roi Sensei, notre oncle.

Kyra ne préféra pas en dire plus pour l'instant. Sensei avait gagné la confiance des Elfes Noirs  en sauvant leur princesse devenue Reine, ainsi qu'en évitant par la même occasion une nouvelle guerre avec les Haut-Elfes et probablement les humains. Ceci avait directement propulsé Kaminoi du premier rang hostile à celui de la neutralité. Cela n'empêchait pourtant pas le dédain de resurgir de temps à autre. Elfes Noirs oblige. Kyra ne comprenait pas comment Sensei pouvait les supporter. Cette méfiance à outrance la fatiguait, ce qui était probablement l'une des raisons pour laquelle il était si rare d'avoir des nouvelles de Sensei.

La situation critique de Kaminoi obligeait donc Kyra à user et abuser de toutes ses connaissances en diplomatie. Mieux valait éviter un refus de dialogue dès la première phrase en exprimant directement sa requête auprès de la Reine, et plutôt susciter autant que possible quelques brides de curiosité pour lui laisser le confort nécessaire pour poursuivre le dialogue.

_Ce que peut entendre mon époux est tout aussi bien à ma portée. En quoi ce que vous auriez à lui rapporter ne pourrait passer par moi ?

Des mots lourds de sens cachés, ne représentant cependant qu'un piège verbal que la Reine  lui tendait. Kyra savait ne pas avoir froissé l'égo de Darlyssa, mais ne pas tenir compte des propos de la Reine comme si elle ne les avaient pas prononcés aurait été une insulte.

Cette gymnastique diplomatique n'allait pourtant pas s'éterniser, contrairement à ce que Kaerïss craignait à juste raison. Sa présence en dehors du confinement de Kaminoi ou Celarawen, prouvait à elle seule combien il était urgent d'accélérer. Sensei avait alors chuchoté quelques mots à l'oreille dressée de Darlyssa avant d’accourir vers les filles de Maitre toki. Puis il continua plus fort pour que tous puissent l'entendre :

_La Reine entendra ce qu'il se dira entre mes nièces et moi, dont elle est devenu leur tante, et participera si elle en juge nécessaire à cette réunion de famille.

Courir n'était pas le mot exact et aurait été perçu comme suspicieux. Pour autant, la démarche énergique de Sensei montrait bien que ce n'était pas l'envie qui lui manquait.
Sensei ne résista cependant pas à la pulsion d'étreindre les jeunes adolescentes. Son long manteau noir qui lui tombait jusqu'aux chevilles disparaissait sous la cendre blanche et collante qui couvrait la terre. Il leur souriait avec cette étincelle brillante dans les yeux, et Kyra imitait la sincérité qui  rajeunissait les traits du visage de Sensei. L'adolescente avait remarqué que la vieillesse n'avait pas autant durci le visage de son père que celui de son double. Celui de Maitre toki était beaucoup plus doux, alors qu'il comptait pas moins de cinq années supplémentaires que Sensei. C'était comme si l'un n'était plus le reflet de l'autre, mais son négatif.

_Il est si bon de vous revoir toutes les deux. Kyra, tu deviens une femme incroyable ! Et toi Kaerïss, toujours aussi adorable.
L'anxiété fit place à une moue timide, qui laissa finalement une empreinte de soulagement sur le visage de Kaerïss.

_Bonjour oncle Sensei, salua Kyra.
_Bonjour, imita Kaerïss.
_Vous m'avez tellement manqué... que j'en viens presque à ne pas regretter les circonstances de votre venue. Vous savez qu'il est extrêmement dangereux de marcher sur le territoire des Elfes Noirs sans invitation préalable...
_Nous comptions sur mes glamours pour passer inaperçues et te trouver, dévoila bêtement Kaerïss, dont Sensei remarqua cependant l'esquisse d'une nouvelle assurance dans le ton de sa voix. Mais à quoi bon paraitre invisible dans un désert...
_... Et en territoire neutre, s'empressa d'ajouter Kyra avant que la Reine ne les accuse d'avoir tenté d'infiltrer son territoire. Que s'est-il passé oncle Sensei, tout est mort ici. Tout n'est plus que néant.
_Même à travers ta double-vue ? S'enquit celui-ci.

Kyra acquiesça. Oncle Sensei serait le seul à apparaître devant ses yeux révulsés si elle décidait d'explorer à nouveau la cité sous cet angle. Il était la seule personne de sa connaissance à apparaître dans les deux plans. Normalement, soit on est invisible, soit on ne l'est pas. Soit on est réel, soit on ne l'est pas. Et pourtant, le double de son père faisait exception à la règle, ce que Kyra ne parvenait toujours pas à expliquer.

_Il n'y a que toute cette mousse ectoplasmique qui recouvre la cité. C'est tout ce qu'il reste du monde invisible.

_C'est uniquement parce qu'Il est toujours coincé dans ce monde auquel tes yeux ont accès, qu'Il n'a pas également ravagé le notre.
_Il ? Interrogea Kaerïss. Tu en parles comme les précepteurs nous parlaient de l'Animato. C'était Lui, n'est-ce pas ?

Sensei ferma les yeux. Le retour de l'Animato signifiait quelques bouleversements tragiques.

_Je ne vais pas mourir ! Contra Kyra comme si elle pouvait lire dans ses pensées.
_J'y étais Kyra, répondit Sensei. J'ai vu ma mère combattre les assauts de Ses pantins macabres et l'affaiblir jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus Lui résister. Il n'est peut-être pas parvenu à se libérer, mais le trépas de la gardienne de Kaminoi restait une grande victoire pour Lui. Ton optimisme t’honore, mais tu dois garder la tête sur les épaules - dans tous les sens du terme - et penser à protéger tes arrières.
_Sensei, notre père a disparu, lui révéla Kyra. Et sans Maitre toki pour mettre de l'ordre dans le bazar politique inédit de Kaminoi, les nobles en profitent pour prendre le pouvoir, si bien que la milice m'a prise en chasse. Et si les Elfes Noirs et toi ne vous étiez pas replié sous terre, si la milice m'avait attrapé, il n'y aurait alors plus personne pour empêcher l'Animato de ressurgir. Les pantins sont déjà de retour, et depuis plus longtemps qu'on ne le pense.
_Il veut se débarrasser des vestiges du sang de la gardienne, en déduisit Kaerïss. Mais je suis la clandestine... Moi, il ne me connait pas.
_La gardienne est de retour dans votre sang à toutes les deux, je connais l'histoire, abrégea Sensei avant d'ajouter d'un soupir las : et elle ne me plait pas du tout...


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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyLun 19 Déc - 23:07

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Chapitre 5 : La rumeur


La situation en Kaminoi n'avait pas tardé à dégénérer. Le conseil de nobles gagnait si rapidement en puissance et en influence sur le royaume qu'il semblait s'être attelé à la tache depuis de nombreuses années, prenant le temps nécessaire de placer ses hommes d'influences à différents postes stratégiques. Les trois généraux de Kyra furent ébahis quant au nombre de hauts personnages corrompus. En dresser la liste paraissait complètement dément.
Kyra pensait que provoquer le retour de Maitre toki par l'intermédiaire de Sensei suffirait à calmer le délire psychotique de ses nobles, mais le résultat n'engendra pas les joies escomptées. La suspicion était à son comble, lorsque les crieurs manipulés par le conseil colportaient les premières rumeurs de Seigneur illégitime. Si bien qu'à la réapparition de Maitre toki, Sensei fût immédiatement arrêté par la milice du royaume.

Comment Maitre toki pouvait-il simplement disparaître et réapparaitre sans raison aucune, laissant derrière lui le pouvoir de diriger son royaume aux nobles, si Kyra ou lui même en avaient toujours la faculté ? Pourquoi Kyra aurait-elle fuit son royaume, si ce n'était parce qu'elle cachait quelques troubles manigances, comme le laissait supposer le nouveau conseil installé à la tête du royaume ?
Le rumeur se voulait volontairement habile et troublante ; confuse. Un matraquage d'informations déformées où tout bonnement erronées qui parfois se contre-disaient, parfois laissant échapper un soupçon de vérité, mais qui au final laissaient planer un doute mettant en branle toute la confiance incroyable que pouvait ressentir le peuple envers Maitre toki et Kyra. Toutes ces histoires venaient forcément de quelques fondements avérés. D'aucuns n'ignoraient à quel point il était facile d’aggraver ou d'embellir une rumeur, mais le conseil s'extasiait devant ce peuple dubitatif, forcé de reconsidérer le dévouement offert à ses souverains depuis si longtemps. Un fait unique dans l'histoire de ce royaume.
Lors du procès de Maitre toki, la rapidité à laquelle on le discrédita paraissait irréelle aux yeux de Sensei. Pourquoi personne n'avait-il pu réagir afin d'éviter ce genre de situation ? On ne peut discréditer l'homme à la tête d'un royaume si facilement sans laisser de signes évocateurs qui ne soient impossible à contrer ! Cette aberration avait plongé Sensei dans une profonde colère qui ne fit qu'accélérer la sentence, si bien que le conseil décida dans la foulée d'élire maître Nao, Gouverneur de Kaminoi. De la folie pure.
Le peuple était perdu devant la dégringolade incompréhensible de la situation. Les gens caressaient l'espoir d'un procès permettant à Maitre toki de clarifier les malentendus, mais une fois le verdict rendu, la crise politique du royaume dépassait toutes leurs craintes les plus folles, et de très loin leurs faibles connaissances dans ce domaine. Puis la rumeur se transforma en faits, noyés derrière les véritables machinations mises en place par des hommes qui se voulaient les plus cultivés du royaume.

Enfermer Maitre toki aurait provoqué l'élément de trop ; sans doute le seul encore capable de soulever les foules. Le laisser « libre » - mais toujours sous contrôle - permettait ainsi de faire croire à la légitimité de la nouvelle situation politique du royaume. Dans le cas contraire, le peuple aurait irrémédiablement senti qu'on cherchait à lui dissimuler la vérité. Maitre toki avait acquis un trop grand respect et une trop grande notoriété pour cela. Les gens voulaient bien croire qu'il n'était plus apte à diriger le royaume si tout ce qui rendait son pouvoir légitime s'avérait ne plus l'être, et que par conséquent, toutes ses recommandations devaient être approuvée puis validée par le Gouverneur. Le pouvoir changeait de main. Voilà bien tout ce que le peuple parvenait à saisir.

_Que le Diable les emporte ! Lança Morgane en cognant son poing contre un mur de leur planque.

Sensei leva les yeux vers elle sans qu'aucune expression ne vienne tarir son air impassible. Assis nonchalamment devant une table débordée par un enchevêtrement de parchemins usés, Maitre toki aurait esquissé l'un de ses célèbres sourires ironiques. Sensei lui, semblait froid et distant.

_Il faudrait encore des années avant de renverser toute cette merde au pouvoir, confirma Teia en se laissant choir mains tendues sur l'épaisseur de papiers confus.
_Ce n'est pas faute d'avoir sacrifié quelques porcs snobinards trop engraissés par l'ivresse du pouvoir !
Micah laissa nerveusement glisser ses mains depuis sur son crâne chauve jusqu'à sa gorge en mimant une violente strangulation.
_Ces quelques assassinats inefficaces ont prouvé à quel point ils étaient bien installés depuis longtemps, lui répondit Teia, le regard dans le vide. Certainement depuis le jour où Maitre toki a renvoyé Nao de sa fonction de précepteur. Cela n'a fait que renforcer leur statut. C'est comme si Kaminoi n'avait finalement connu aucun homme de valeur au pouvoir et digne de confiance. Le roi est mort, vive le roi !
_Maitre toki n'est pas mort, s'indigna Sensei en daignant enfin prendre la parole.
_Et qu'en savons-nous finalement ? Demanda Morgane.
_Je pense que le conseil l'a fait enlevé. Ce procès était prévu bien avant mon arrivé, comme si on s'attendait à son retour.
_Ou peut-être aurait-il eut plus de charisme que son clone et gagné le procès. Peut-être prendrait-il simplement de meilleurs décisions tout court. Et si l'original surpasserait-il la copie ?

Les insinuations que Teia ne tentait même pas de dissimuler invoquèrent un feu de colère dans les yeux de Sensei. Des flammes tant connues des Elfes Noirs qui contribuèrent à gagner leur respect, totalement étrangères dans le regard de Maitre toki. Malgré les ajustements par potions alchimiques de Kaerïss, certaines différences entre Sensei et Maitre toki n'échappaient à aucun des deux autres généraux qui approuvaient en silence la pensée de Teia.
Sensei savait qu'il n'avait plus rien à voir avec lui-même -cet homme qu'il aurait dû devenir- et s'en félicitait. Trouver le moyen de renvoyer cette image de l'homme droit, serein et passionné qu'était Maitre toki lui coûtait beaucoup trop d'énergie. Au moins, lors de leurs réunions discrètes, Sensei pouvait cessé tout jeu d'acteur. Faire semblant d'être l'homme dont on a passé la moitié de sa vie à se dissocier est un conflit psychologique permanent et éprouvant.

_Il est entendu que ma seule force de persuasion est insuffisante, concéda Sensei. De même, le symbole des traits de Maitre toki que j'arbore s'est avéré pour le moins décevant. Je ne vis plus avec les humains depuis trop longtemps pour avoir oublié la fragilité de leurs croyances, de leur foi en ce qui représente tant d'années de paix et de sécurité à leurs yeux.
_Pour ce qui est de la réaction des nobles au procès, je ne peux être que d'accord. (Morgane s'éloigna du mur sur lequel elle avait cogné sa frustration et s'avança vers la table autour de laquelle ils avaient pris l'habitude d'élaborer leurs stratégies.) Mais le peuple semblait d'avantage réceptif, et l'aurait été plus encore, si la milice ne s'était pas si vite interposée en provoquant ton arrestation le jour de ton arrivée.
_L'Animato m'a loupé en Ker'Agane, peut-être avait-il prévu d'en informer Ses pantins de Kaminoi pour nous devancer. Si il le retient toujours en captivité, alors le conseil sait forcément que je ne suis pas Maitre toki.
_Je dis qu'ils sont possédés ! Réagit brutalement Micah en se levant pour contenir sa colère.
_Ce genre de phénomènes n'est pas rare en Sa présence, précisa Sensei. Même confiné dans les enceintes de Kaminoi-eka, l'Animato est capable de grandes apparitions paranormales. Les histoires de zombies et autres fantômes sont courantes en Kaminoi.
_Si nous cessions alors de perdre du temps avec nos intrigues politiques et que nous considérions le problème à sa source ? Suggéra Teia.
_Micah, tu es le seul à ma connaissance à avoir combattu l'Animato et y avoir survécu.
_Je n'y ai pas survécu ! Rugit-il envers Sensei avant d'accélérer le pas.
Il tournait en rond comme un lion dans sa cage.
_Je suis un lycan qui a perdu sa bête. J'ai voué allégeance à Kyra pour cette raison précise : la vengeance. C'est elle - ma bête - qui a affronté l'Animato. Et lorsqu'elle s'est effondrée, Il s'est faufilé et a prit sa place. Sans les blessures mortelles infligées par Kyra pendant le tournois, aujourd'hui encore je serais l'un de Ses pantins.
Teia et Morgane acquiescèrent, le même souvenir de la scène leur traversant la mémoire.
_C'est ce que j'ai entendu dire, confirma Sensei.

S'il était ému devant cet homme imposant et aux muscles saillants lui délivrant ses blessures les plus pures, il n'en laissa rien paraître. Puis une idée germa dans son esprit.

_Le sentirais-tu, si jamais l'Animato se trouvait dans un corps à ta proximité ?
_Je n'oublierai jamais cette sensation de mort glacée et brulante à la fois, frissonna Micah plongé dans ses souvenirs douloureux.
_Dans ce cas, il est temps que nous allions rendre visite à notre Gouverneur pour vérifier cette théorie.
_Et après ? S'enquit Morgane.
_Et après... Tu es une mage de guerre, n'est-ce pas ?

Cette réponse la fit autant vibrer d'effrois que le sourire machiavélique déchirant le visage de Maitre toki. Un sourire qui n'avait rien à faire sur le visage de cet homme. Jusqu'à quel point Sensei était-il devenu si différent de son double ?
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyLun 26 Déc - 12:05


***
Chapitre 6 : Lui


Depuis toujours, les morts débordaient littéralement de Kaminoi-eka. Qu'ils soient corps ou esprits, leur quantité et les puissantes forces nécromanciennes mises en œuvre sur ces terres appliquaient de nombreux phénomènes de non-morts aux cadavres. Beaucoup d'histoires d'esprits frappeurs ou corps décharnés circulants dans les rues alimentaient les comtes et légendes du royaume.
On disait des Déesses de pierres qu'elles avaient créé le monde, lorsqu'on ne les surnommaient encore que les « Déesses aimantes ». Puis leur fille - la mère de Maitre toki - démentit cette rumeur. Et lorsqu'elle leur donna le surnom des Déesses amantes, on disait d'elles qu'elles n'avaient finalement créé que les fondations de Kaminoi. Ce qui était le plus proche de la vérité, si l'on partait du principe que depuis l’emprisonnement de l'Animato  - véritable entité créatrice originelle -  la vie de Kaminoi repartait d'une toute nouvelle ère.
Ainsi naquirent les premières légendes de Kaminoi. Des légendes bâties sur de véritables abominations ayant foulées le sol du royaume, tel l'enfer paranormal qu'il était au temps de l'Animato.
Ces mêmes abominations qui glissaient devant les yeux de Kyra ; courants de tentacules lisses imprégnés de lumière blanche.

Les spectres défilaient en tous sens sans logique apparente. Des visages, des corps, parfois de simple songes représentés par le flash de scènes figées à jamais dans l'espace temps. Kyra n'avait pas foulé terre qu'elle conjuguait ses réflexes à ceux de Morpah pour s’aiguiller dans les airs à travers cette tornade de fantômes. Jamais encore les yeux de Kyra n'avaient été témoins d'un tel pique de concentration paranormale lorsqu'elle utilisait sa double-vue. Et pourtant, Kyra ne l'utilisait même pas.
En évitant in-extremis la chute d'une femme se suicidant en une boucle infinie d'une falaise qui n'existait pas, (ou plus?) le dragon vira à gauche, se retrouvant sous le royaume surélevé par une Déesse de pierres, qu'il longea en remontant brusquement d'un puissant battement d'ailes. Affolé par des apparitions infernales, Morpah devint difficilement contrôlable et ne semblait pas réaliser qu'il fonçait droit sur les restes de fondations du royaume que représentait leur ciel. Kyra devait s'efforcer de stabiliser le vol de son dragon si elle ne voulait pas qu'ils s'écrasent sous la surface de Kaminoi.
Aidée dans son effort par sa compagne lui faisant face, le visage de la Déesse semblait marqué par l'usure et la douleur lorsque Kyra reprit le contrôle de sa monture. Elles ne représentaient peut-être que de gigantesques statues, mais la pierre qui s'effritait de leur visage transformait leur expression d'origine de bien triste manière. Comme le signe que les Déesses luttaient en permanence pour  maintenir Kaminoi  hors de l'eau. Anormalement calme et tranquille, l'océan infini semblait attendre la chute du royaume avec la patience de l'arachnide, s'extasiant avec gourmandise devant sa proie qui se démène en vain dans le piège de sa toile.

Kyra fit décrire à son dragon un nouvel arc de cercle autour de la Déesse tout en continuant son ascension. Après quelques vifs ajustements afin d'éviter de nouveaux spectres, l'adolescente se pensait enfin sortie d'affaire quand retentit le vacarme des eaux soudainement déchainées. Les vagues montaient si haut que l'une d'elle explosa à l'endroit où se trouvait Morpah un instant plus tôt, prêt du coude nu de la Déesse difficilement plié au dessus d'elle.
Se risquant un dernier coup d’œil vers le bas, Kyra constatait avec effrois que l'eau venait de grimper jusqu'aux poitrines presque totalement immergées des Déesses, alors qu'elle stagnait à hauteur de leur nombril encore quelques instants plus tôt. Etait-ce vraiment l'eau qui venait de monter, ou bien les Déesses s'agenouillaient-elles sous le poids de la fatigue ? Combien de temps vous faudrait-il avant de plier, si vous deviez soulever un bloc de pierre à bout de bras jusqu'à épuisement total ?
Jusque là, les Déesses avaient tenu deux ans.

La situation ne s'améliora pas foncièrement une fois les quatre pattes du dragon posées au sol. Kyra ne constatait plus le même phénomène d'averse spectrale comme sous les fondations aériennes du royaume, mais cela n'empêchait pas leur nombre de dépasser l'entendement.
La dernière fois que Kyra perdit le contrôle de sa double-vue, ses yeux n'étaient plus qu'un stroboscope infernal. Ses réflexes affichant par une alternance si violente les deux plans de réalité qu'elle en perdait tout ses repères, tellement il y avait de nouvelles morts à observer. C'était le jour du Raz de marée ayant emporté Ekarys dans la tourmente de ses flots déchainés, et qui contraignit les Déesses à soulever Kaminoi au dessus des eaux afin d'empêcher l'Animato de se libérer de Sa prison. Mais cette fois, aucune double-vue n'était nécessaire pour observer les apparitions spectrales.  Et si seulement il ne s'agissait encore que de fantômes...

Si l'Animato n'était pas encore parvenu à s’échapper, Kyra imaginait bien que cela ne saurait tarder. C'était inévitable. Elle avait beau chercher les vivants du regard, la jeune femme ne tombait que sur un entremêlement de chairs décomposées piétinants d'un rythme saccadée sur ce qui représentait leurs anciens tombeaux.
Les membres décharnés s'agitaient avec frénésie comme seuls les nerfs sont capables de convulser. Un zombie ne traine pas la jambe en agitant mollement les bras vers vous comme la promesse d'une accolade morbide. Il lui est tout simplement impossible de contrôler ses muscles dénués de vie. Seul les nerfs sont encore capables de faire tressaillir la chair après trépas, ce qui représentait pour cette meute d'outre-tombe une allure de chorégraphie macabre et épileptique. Pas un seul morceau de viande de leur corps ne demeurait en sommeil... C'était tout ou rien. Frénésie / inertie.  

Vomir était hors de question. Cela n'aurait fait que la ralentir alors qu'elle chargeait à dos de  dragon à travers cette mêlée de chair visqueuse, putride, aux relents gastriques abominables. Si l'enfer avait une odeur, Kyra savait qu'il n'en manquait plus que celle de cuisson.
Comme pour répondre à cette pensée, Morpah cracha un feu de soufre consumé par l'étincelle de la friction de ses crocs. La chaleur accéléra la décomposition des cadavres emportés par la puissance du souffle. En invoquant cet enfer qui maintenait à distance la plus grosse partie des zombies, Kyra bondit à terre et à son tour, incendiait les cadavres restants grâce aux potions rouges de Kaerïss qu'elle contenait dans son sac. Lorsque les munissions vinrent à manquer, Kyra dégaina deux lames comme venues de nul part.
L'une d'entre elles, forgée par le feu et les ténèbres, possédait une jumelle aux forces opposées que Maitre toki gardait pour sa propre collection. Les lames des Déesses étaient spécialisées dans l'éradication des forces occultes et spectrales. Une aubaine contre cette horde de morts-vivants se dressant toujours devant elle : sorte de défi calculé pour accéder aux portes du château.
Kyra savait qu'il n'en était rien. Les zombies ne contrôlent pas leur faits et geste ; quelqu'un d'autre s'en charge à leur place. Où dans ce cas précis : quelque chose d'autre se chargeait de jouer avec elle...

Tandis que Kyra traversait cette jungle de corps survoltés, tiraillés par une faim intarissable de sa chair lisse et tendre, le visage décomposé de Maitre toki se présenta à elle. Son regard était vide. Ses yeux verts n’exprimaient pas la moindre foutue émotion. Mort, c’est ainsi qu’elle le reconnaissait. L’œil droit qui éclata dans son orbite n'était plus que raisin sec la fixant d'un amour paternel désormais aveugle.
Kyra poussa un hurlement désespéré et trois têtes roulèrent mollement sur le sol du cimetière. Sa double-vue venait d’effacer l'illusion du cadavre animé de son père, lui permettant ainsi de continuer ses enchainements de décapitations. Se protégeant contre les attaques mentales, l'adolescente se taillait un chemin sanglant au rythme de ses cris enragés, fonçant vers les marches du château qu'elle escaladait à vive allure.

Une épée dans chaque main, la peau couverte de sang qui ne lui appartenait pas, ses vêtements fatigués par les coups de griffes, Kyra fixait sans ciller l'immense double porte s'ouvrir d'elle-même comme l'invitation, cette fois, de rentrer à la maison. En cet instant, Kyra comprit que l'Animato avait déjà gagné. Personne ne peut vous inviter à rentrer chez vous, sauf si cette même personne vient de s'approprier les clefs de votre demeure. L'Animato se moquait d'elle, et son rire machiavélique semblait cogner contre les parois de son crâne.
Alors qu'elle entra d'un pas prudent mais déterminé, Morpah luttait toujours derrière elle en repoussant les assauts des morts-vivant de son feu, balayant les zombies les plus téméraires d'un coup de queue, puis battant des ailes pour échapper à leurs récidives. Quelques apparitions luminescentes flottaient dans le ciel noir, chantant pour certains la mélodie sinistre des banshees.
Kaminoi trembla. Les Déesses montraient de nouveaux signes de faiblesse. Morpah continuait son combat, mais les morts, trop nombreux, bientôt parvenaient à le submerger. Ses ailes furent la première friandise que les zombies dégustaient lorsque les portes du château claquèrent au dos de Kyra. Elle perçut un dernier grondement d'agonie, puis se retrouva seule face au silence irréel.

Le hall semblait vide et bien plus mort que toutes les créatures animées à l'extérieur. Il y régnait une atmosphère pesante, suffocante, complètement dépourvue de lumière. Aucune lueur ne semblait pouvoir traverser l'étrange opacité des fenêtres. Pas une seule flamme ne dévoilait la moindre forme, le moindre obstacle à franchir. La pièce se trouvait plongée dans le noir complet. L'obscurité épaisse camouflait tout aux yeux de Kyra, telle une illusion ultime de cécité.
L'adolescente balaya le sortilège en révulsant de nouveau son regard. Sa double-vue levait le voile chimérique pressé contre ses paupières, et le hall se révéla.

Les statues miroir se tenaient exactement comme dans ses souvenirs. De taille moyenne, elles permettaient à quiconque osait croiser le regard d'une Déesse de voir les formes de son visage épouser parfaitement leur reflet. Une symbiose troublante qui contredisait toutes les lois de réflexion connues. Les Déesses de verre encadraient un trône immense que Maitre toki n'utilisait plus depuis bien longtemps. Kyra n'y avait jamais pris place, sauf lors de ses excursions officieuses avec les jumeaux gobelins.
Beaucoup de souvenirs de son enfance lui traversaient l'esprit. Elle se revoyait à dix ans, vive, curieuse, créative et intrépide. Faisant bonne figure et se tenant droite en écoutant les jérémiades hilarantes interprétées par Pile et Face. Le souvenir de ses seuls véritables amis dans le monde des vivants l'envahi d'un sentiment nostalgique et douloureux. Pile et Face avaient simplement disparu de sa vie du jour au lendemain, sans aucune raison. Son père n'avait cessé de la prévenir de la nature des gobelins en qui il était impossible de construire une véritable relation de confiance. Un gobelin par nature ne connait pas ce sentiment. Si vous le tenez par quelque chose qu'il convoite, l'amadouez, le soudoyez intelligemment, alors vous en ferez un allier. Les choses ont tendance à se compliquer lorsque vous n'avez plus rien à lui offrir. Mais Kyra n'était pas de cet avis. Elle ne leur avait jamais rien donné à sa connaissance. Pile et Face étaient ses amis depuis toujours, et Kyra se refusait d'accepter l'idée qu'ils s'étaient séparés d'elle simplement par soif d'avidité inassouvie. Leur amitié était désintéressée, pas vrai ?

Perdue dans ses songes alors qu'elle gravissait lentement les marches menant à la plus haute pièce de château, Kyra ne réalisa pas immédiatement qu'en utilisant sa double-vue, elle aurait forcément dû constater la présence de quelques fantômes. Là encore, tout semblait mort et aseptisé. Aucun phénomène paranormal n’accompagnait son ascension alors qu'elle utilisait des dons spécialement prévus pour les observer. Kyra repensa au phénomène de néant constaté chez les Elfes Noirs. Seule cette bouillie résiduelle d'ectoplasmes manquait à l'appel.

Les premiers signes de mécontentement des poumons de Kyra fit éclater ses pensées pour la ramener à la réalité. Le château Kaminoi fût bâti dans un soucis évident de diverses manœuvres psychologiques, lesquelles accentuaient la sensation de grandeur et d'importance inculquée au maître des lieux. Son souffle désordonné la fit maudire intérieurement le sadisme des architectes du château.
Si vous réclamiez audience, il vous fallait la mériter et gravir une à une toutes les marches interminables de tous les escaliers, jusqu'à connaître enfin la satisfaction d'arriver à destination. Fatigué et à bout de souffle, pour peu que vous manquiez d'exercice physique. Ce n'était pourtant pas le cas de Kyra. Elle avait simplement perdu l'habitude de cet effort contraint et affligeant.
Au bout du compte, le siège qui vous serait offert recevrait un plus bel accueil de votre part, tandis que vous lutteriez avec toutes les peines du monde pour ne pas simplement vous affaler mollement dans son confort aussi grandiose qu'exécrable. Le maître des lieux - qui vous attendrait tranquillement - vous recevrait aussi frais qu'en pleine possession de ses moyens. Vous seriez lourd et fatigué, aussi heureux d'être assis qu'il serait fier de pouvoir parfaitement se tenir debout. Lui, qui dominait l’immensité de son royaume vous narguant derrière une splendide baie vitrée. Il fallait être un grand homme, ou une grande femme, pour se tenir à la tête d'une telle surface. Et parce que vous devriez lever la tête à sa rencontre, vous sauriez que la personne qui vous dominait de votre siège confortable était effectivement une grande personne, contrairement à vous qui n’étiez rien qu'un simple enfant admiratif, contemplant son modèle.
Auriez-vous oublié l'objet de votre demande ?

Kyra connaissait parfaitement ce petit jeu. Elle ne comptait plus les fois où il lui fallait monter retrouver son père pour connaître le châtiment qu'il lui réservait depuis sa dernière bêtise en date. Elle avait beau se préparer des excuses toutes plus originales les unes que les autres, elle finissait toujours par en oublier les mots. Peut-être que son jeune age accentuait ce sentiment de domination, mais Kyra s'était toujours sentie de plus en plus petite à mesure où elle bravait les escaliers, jusqu'au point d'appréhender de manière viscérale le simple fait de franchir le seuil de la porte. Elle se revoyait donc, enfant de dix ans tumultueuse, le cœur battant à tout rompre dans la poitrine, consciente de l'épreuve insoutenable qu'elle s’appétait à passer. Kyra avait seize ans à présent, et pourtant ces mêmes sentiments l'envahissaient, la compressaient, l'étouffaient, alors qu'elle tournait la poignée de la porte.
Ses yeux immaculés balayèrent l'obscurité soudainement ébranlée par l'apparition furtive d'un éclair à travers la baie vitrée. Une mise en scène, se répétait-elle. Tout ceci n'est qu'une mise en scène. Mes peurs infantiles sont Ses armes. Elles l'ont toujours été. Mais la silhouette ombragée qui lui tournait le dos venait d'apparaitre aussi vivement que le passage de la foudre. Image parasite échappée d'un cauchemar.
Elle reconnaissait la posture que son père arborait toutes ces fois où la punition allait tomber comme un couperet au dessus de sa tête.

_Kyra, mon enfant. Tu as été une très, très vilaine fille...


Cette voix venue d'outre-tombe ébranla son corps d'un frisson d'angoisse. La voix d'un homme qui la persécuta des années durant son enfance, et qu'elle avait finit par piéger, préméditant le moment où elle l’assassinerait. Un poète dans lequel elle finit par y plonger ses griffes dans la chaleur de ses tripes.
Un nouvel éclair tressaillit d'une lumière déchirante, tandis que le visage monstrueux de cet homme qui n'était pas son père se tourna vers elle.

_Et que les Déesses m'en soient témoins, lui répondit-elle d'une voix sombre. Parce que je recommencerai sans hésiter !

Le rire de l'Animato éclata dans l'orage.


Dernière édition par Maitre Toki le Mer 7 Aoû - 8:47, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyLun 2 Jan - 16:25

***
Chapitre 7 : Les trolls des bois


Saucissonnée de la sorte commençait sérieusement à devenir lassant. Elle avait beau s'amuser de leurs esprits largement malléables, jouer la divinité des trolls des bois présentait quelques complications.
Perchée sur une fine branche au dessus des trolls endormis, Navi puisait dans ses toutes dernières réserves de magie. A travers ses mains attachées dans le dos, elle concentra ses efforts dans l'invocation d'une braise discrète avec l'espoir de ronger ses liens. Elle échoua. La flamme s'étiola presque instantanément, telle une bougie affolée par un courant d'air impromptu.

_Plus de matéria... Se lamenta la petite fée. Misère, je veux pas terminer en fumée de Bombo !

La téléportation ? Navi aurait dû y songer bien avant d'épuiser ses réserves de magie. Mais que dire d'une Déesse qui prend la fuite... Même les lucioles conjurées pour éclairer l'intérieur du grand chêne commençaient à s'éteindre les unes après les autres.
Le clan des trolls n'avait peut être pas le goût sucré d'un essaim de fées, il n'en restait pas moins délectable. Cela faisait tellement longtemps que Navi avait perdu l'habitude du contact enivrant de ses semblables que la gourmandise obscurcissait son jugement. Demeurer leur divinité et s’imprégner de leur essence comme un nain ivre de son outre de bière, voilà bien tout ce qui comptait.
Ses ressources à présent épuisées, la petite fée sentait la panique l'envahir à mesure où elle reprenait ses esprits, car elle réalisa soudainement quelque chose. Même en état de manque profond, seul un envoutement aurait été capable de faire dériver son objectivité de la sorte.

_Saloperie ! S'écria t-elle en gigotant sur sa broche. Je suis sous l'influence d'une saloperie !

Trop tard pour les remords. Un troll bougea sensiblement dans son sommeil ; un autre renifla bruyamment ; Navi serra les dents. Elle faisait beaucoup trop de bruit alors que sa magie Morphée commençait déjà à s'évaporer. Si jamais elle réveillait les trolls avant de trouver le moyen de se libérer, ils la feraient rôtir sur le bucher comme toute déesse des trolls qui se respecte.
Ragaillardie par cette pensée funeste, une idée lui traversa l'esprit.

De grandes branches avaient poussé sur le sommet de son crâne le jour où Navi connut le bonheur intense des joies interdites aux petites fées. Ces mêmes joies intimes qui lui valurent le bannissement de son essaim. Elle portait le fardeau de ses cornes comme le poids de la honte, la faisant passer pour une espèce de fées à laquelle elle ne voulait pas appartenir : celle des tentatrices. Un sujet tabou qu'elle s'efforçait de garder fermé à clef dans les tréfonds de sa conscience, mais qui pour une fois, risquait fort bien de lui sauver la mise. Ses cornes n'étaient-elles pas finalement que des bois ? Et donc très certainement inflammable, n'est-ce pas ?

Testant avec passion la pertinence de cette théorie, Navi se contorsionnait pour racler le bois de ses cornes contre les parois de l'arbre. Encore et encore, de plus en plus vite. Cela provoquait bien trop de bruit, mais le désespoir de la petite fée l’incitait à décrire de grands mouvements de tête dans l'espoir de voir apparaître quelques gerbes d'étincelles sur le bout de ses cornes. Si ses bois prenaient feu, peut-être pourrait-elle enflammer cette branche qui la suspendait au dessus du bûcher comme un cochon sur une broche. Elle s'écraserait sans aucune chance d'amortir sa petite chute, mais au moins elle serait libre. Tant pis pour les bleus.
La friction ne fonctionnant toujours pas, Navi redoubla d'effort lorsque le vacarme de ses gigotements incessants alertèrent un premier troll tiré sauvagement de son sommeil artificiel. Puis un second. Qui en réveilla un troisième, et même un quatrième. Bientôt, Navi s'affolait dans son cordage comme un ver se tortillant de douleur, et tous les trolls des bois s'étaient levés, visiblement très en colère.

_Craignez la toute puissance de votre déesse ! S'écria Navi qui transforma l'extase de sa voix en avertissement pour ses sujets, comme de la fumée venait subitement de faire son apparition. Un seul pas et vous êtes cuit !

L'odeur ne correspondait pourtant pas à celle d'un feu de bois. Une épaisse couche de vapeur violette envahissait l'intérieur du chêne, provoquant un effet de panique chez les trolls qui toussaient et crachaient à plein poumons. Une silhouette turquoise traversa le brouillard opaque et coloré. Navi sentit ses liens céder et tomba sur la forme ombrée qui la rattrapa dans sa chute.

_Abracaedia ! Entendit la petite fée juste avant qu'une explosion écarlate ne provoque ce trou béant à l'intérieur de l'arbre en une pluie d'écorces.

Un rayon de lumière transperçait les fumigènes qui déjà s’échappaient à l'air libre. Autour de Navi, les trolls devenus fous se jetaient en tous sens. Ils l'auraient probablement plaquée au sol si on ne venait pas de la tirer par le bras de cet enfer... Et de la jeter dans le vide.

_Vole !
Lui criait-on.

La petite fée se souvint qu'elle savait voler lorsqu'elle déplia ses ailes bleues abimées. Malheureusement, les ailes de fées n'ont jamais été conçue pour deux. Agrippées l'une à l'autre dans une chute vertigineuse, Navi et Kaëriss tombaient inexorablement droit sur un champ de roses épineuses.

_Trop lourde ! Rugissait Navi. T'es trop lourde !

Elles étaient sur le point de s'écraser, lorsque Kaerïss s'enfila une gorgée de potion au tout dernier moment. Ce fût la dernière chose que Navi fût en mesure de voir avant de fermer les yeux.
Le choc au sol fut brutal mais Kaerïss avait connu pire. Cependant, les épines qui écorchaient sa peau à travers ses vêtements la paralysait d'une douleur cinglante. Minuscule, Navi gisait sur son ventre, ne comprenant en rien au déroulement de ces derniers évènements.

_On est mortes ? Demanda la petite fée sans oser ouvrir les yeux.
_C'est pas loin, lui répondit Kaëriss à bout de souffle.

L’œil droit de Navi fit une première apparition timide sous une paupière à demi levée. Elle se sentait bercer par le souffle de Kaëriss qui semblait bien moins confortablement installée. Comprenant que Kaëriss venait de retrouver taille humaine, Navi bondit sur son bidon avec des grands yeux arrondis par la gourmandise :

_Je peux avoir de la potion qui fait grandir moi aussi ?


Dans cette position, Kaëriss aperçut quelques Trolls - terrorisés par le fumigène - se jeter hors du gouffre qu'elle avait créé à l'intérieur du chêne. Ces petites créatures lui paraissaient beaucoup moins dangereuses maintenant qu'elle les voyait à peine plus grandes que la taille de son poing. Navi, qui devait grossièrement les dépasser d'un poing supplémentaire, était encore une géante à coté d'eux. Pas étonnant qu'ils puissent la considérer comme une déesse si on ajoutait à l'équation les facteurs de sa grande force de caractère et son charisme féérique.

Tandis que les Trolls des bois se suicidaient en haut du chêne, Kaëriss trouva le courage de se lever malgré la ténacité des roses s'agrippant férocement à sa peau, et Navi celui de s'envoler. Un soin mineur de Navi aurait suffit à effacer ces égratignures, si seulement la petite fée possédait encore une once de magie.

_Si tu veux grandir un jour Navi, il faudrait déjà songer à ne plus te comporter comme une enfant, la réprimanda Kaerïss.
_Je te rappelle que j'étais encore ta nourrisse il n'y a pas si longtemps que ça, petite mal-élevée ! S'emporta l'intéressée qui filait s'assoir à califourchon sur son épaule.
_Uniquement parce que mon père disparaissait trop souvent. Souviens-toi que je suis devenue une ado-méchante de quatorze ans maintenant.

Navi balaya cette dernière phrase d'un geste las, en venant directement à ce qui l'intéressait.

_Et où se cache t-il cette fois ? Encore un nouveau voyage avec Gwaedia dans l'espoir d'adopter un Ruberta flamant rose ?
_C'est très grave ce qui se passe Navi. Pourquoi crois-tu que je sois venue te délivrer ?
_Me délivrer ?! (Piquée au vif, la petite fée battit rageusement des ailes pour un meilleur effet scénique) Je maîtrisais parfaitement la situation.

Kaëriss n'était pas dupe. Elle choisit néanmoins de préserver la dignité de la petite fée et ne releva pas. L'explication sur l'état de Kaminoi qu'elle lui fournit tua toute trace de jovialité et d'insouciance dans les yeux pétillants de Navi.
Sans trop avoir besoin de se creuser les méninges, il se révéla évident que le sort de confusion lancé sur Navi, la disparition de Maitre toki, l'exil de Kyra et le renversement du pouvoir en Kaminoi, constituaient tout autant de diversions permettant l'avènement de l'Animato.

Diviser pour mieux régner disait-on. Finalement c'était chose faite.
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyDim 8 Jan - 1:52


***
Chapitre 8 : Le pantin


Un maelström de couleurs électriques grignotait la chair cramoisie du cadavre. Les soubresauts qui l'animaient démontraient l'urgence de la situation, et Sensei le décapita aussitôt. La tête roula doucement sur le sol, terminant sa course contre la botte de Morgane.
La mage de guerre concentrait la puissance de ses habilités magiques à l'intérieur du cocon occulte qu'elle tissait entre ses doigts. Cela n'avait absolument rien de volontaire. La force de ses dons ne changeait en rien la progression de ce piège. Les filaments glissant sur sa peau épousaient la forme de ses mains, remontant le long de ses bras tel des nerfs auxquels on aurait donné vie.  Plus Sensei détruisait de cadavres animés, plus le circuit nerveux gagnait du terrain, titillant bientôt la chair de son cou.

Cette pagaille chaotique s'était installée si brutalement que Sensei en oubliait presque la raisons. En refusant de lui accorder  audience alors que Sensei arborait les traits de Maitre toki, le Gouverneur avait délibérément insulté et humilier le Seigneur légitime du royaume. Régler les affaires de Kaminoi monopolisait tout le temps dont il pourrait disposer. Du moins fusse la réponse de ce jeune noble sans importance, envoyé sans aucune prise de considération pour le haut personnage que représentait Sensei. Une double insulte qu'il n'avait pas supporté. A son commandement immédiat, le sort pyrotechnique de Morgane fit sauter la double porte, emportant avec lui un malheureux qui ne tarderait pas à se « relever » d'entre les morts ; le premier d'entre tous. L'instant suivant, Sensei et les généraux de Kyra débarquaient dans la salle du conseil. Leur réunion était terminée.

_Je ne requiers plus audience,
avait déclaré Sensei avant d'ajouter : je la prends.
_Pourquoi vous montrer si impétueux, Maitre toki ? Vous me mettez à présent dans l'obligation de vous chasser hors de vos propres murs.

Très vite, la garde de Nao s'était déployée en un cercle défensif autour de lui, une colère incandescente dansant à travers chacune de leurs pupilles. Un frisson si glacial qui l'en brulait, escalada les pigments de la peau de Micah comme la sensation irritable de grains de sables ardant lui arrachant la chair. Il venait de confirmer l'influence de l'Animato dans le corps de Nao et des membres du conseil lorsqu'il s'était écroulé à genoux. De ce fait, pourquoi perdre son temps à faire de la politique ? Au diable la diplomatie ! Il n'était plus question que de survie. Rebrousser chemin étant impossible, ils n'avaient simplement plus qu'à foncer dans le tas. Le combat s'en trouva désorganisé au possible, mais les alternatives à se désastre manquaient cruellement.

Teia voulu l'aider à se redresser, mais Micah perdait totalement le contrôle de lui même au moindre contact. Sans autre choix que de l'abandonner à cette lutte intérieur, Teia recula, s’efforçant d'éviter que l'un des nombreux cadavres gisant à terre ne vienne lui dérober une jambe ou lui faire perdre l'équilibre.
Avant de devenir des carcasses animées, les corps appartenaient à ceux des gardes que Sensei et Teia exécutaient durant la bataille. Des pantins au regard mort et glacial provoqué par l'influence de l'Animato qui puisait ses principales capacités dans la nécromancie.
Blesser mais pas tuer. Un principe beaucoup plus difficile à respecter face à un ennemi qui ne retient pas ses coups. Il planait dans la salle du conseil comme une zone de non mort, empêchant les défunts de trouver le repos éternel pour mieux se relever au combat.
A présent, Sensei était déchainé. Son épée tranchait et découpait en tous sens, inlassablement, parvenant sensiblement à se creuser un passage jusqu'au Gouverneur Nao. Teia le suivait de prêt. Mais, ne se retrouvant plus qu'à deux contre une horde increvable, sans cesse renouvelée par des mises à morts dont ils ressuscitaient, cette lutte acharnée lui donnait un arrière goût d'opération suicide.  

Deux cris se succédèrent.

Le premier appartenait à Morgane, dont les forces s'amenuisaient dangereusement tandis que les serpents de nerfs s'infiltraient à l'intérieur de sa gorge. Bientôt noyée par les tentacules  immatériels de l'Animato, Morgane tombait à Sa merci.
Le second provenait d'un Micah abattu, incapable de résister d'avantages aux persécutions mentales de l'Animato. La perte de sa bête avait laissé un vide, quelque part, au plus profond de son être. Un trou métaphysique béant dans lequel l'Animato parvenait à s’engouffrer sans aucun mal. Il y trouvait une place chaude et accueillante pour s'y loger.

Affronter le conseil sans préparation aucune avait été une terrible erreur. Sensei n'en avait que trop conscience. L'adrénaline restait certainement la seule chose qui le maintenait encore en vie. Avec le recul, il remarquerait probablement les blessures profondes qui ruinaient son corps, et peut-être même s'en soucierait-il. Pour l'heure, Sensei ne s'arrêterait qu'une fois son objectif éliminé. Ses gestes perdaient de leur précision, mais il continuait quand même, sauvage, labourant, découpant, hurlant jusqu'à ne plus rien entendre d'autre que le son déchiré de sa voix. Encore un effort, il y était presque. Une lame étincela, qu'il perdit de vue quelque part vers le bas. Mais il avançait, péniblement, douloureusement, sans plus rien y voir, sans plus rien entendre. Comme un cadavre.
Un cadavre ambulant, obnubilé par la voix envoutante de son Maître lui ordonnant d'avancer, péniblement, douloureusement...

Teia avait abandonné bien avant lui. Nao mis à part, tous les membres du conseil semblaient aussi morts que l'Animato le leur permettait. C'est à dire pas assez... Le regard pétrifié, Teia venait de perdre tout espoir lorsque le zombie de Maitre toki se tourna à sa rencontre. Non, pas Maitre toki : Sensei.
Ou peut-être que si. Ils étaient physiquement si semblables ! Maintenant que toute vie avait déserté son regard, que toute trace de personnalité venait de s'étioler en lui, Teia n'y voyait plus que le cadavre du Seigneur de Kaminoi se diriger vers la grosse veine qui tambourinait contre sa gorge.

Un sourire affamé défigurait le visage du zombie. Son corps tout entier tremblait de violentes convulsions qui vous déchiraient de douleur rien qu'à les regarder. Peut être que Teia, ne pouvant se résoudre à y voir un simple corps mort mais celui du père de Kyra, ne parvenait à contrôler cette soudaine empathie face à la douleur que semblait éprouver le zombie. Néanmoins, les posture et démarche troublantes du cadavre lui apparaissaient comme le signe désespéré d'une lutte entre le corps et l’esprit.
En baissant les yeux, Teia découvrit les mains du zombie qui cherchaient à arracher l'épée lui ayant couté la vie, celle ruisselante de sang profondément ancrée dans son ventre. Mais une fois cette lame ensanglantée extraite de sa chair, le zombie gargouilla ce râle de soulagement infâme. Un son pathétique et effroyable à la fois.
Libéré de son fardeau, le cadavre animé convulsa de plus belle en direction de Teia.  Et dans ses yeux morts vitreux, celui-ci n'y décela plus aucune trace de douleur ou de combativité. Si Sensei avait un jour vécu dans ce corps, il n'en restait rien, à part cette carcasse vide et défraichie qui se trainait maladroitement vers lui..

Étrangement, plus aucun autre zombie de Nao n'avançait vers Teia, Morgane et Micah. Ils demeuraient immobiles, comme si quelqu'un venait de décider que seule la mâchoire de Sensei s’abattrait sur la chair de Teia, se refermerait autour d'elle jusqu'à la faire céder, emportant avec elle, gourmande, ce morceau de premier choix.
Teia bascula en arrière ; tétanisé par cette vision d'horreur dont il ne parvenait à s'extraire. On ne lutte pas contre la mort. Teia ne pouvait s'y résoudre. Il était déjà mort. Sa dernière pensée siffla telle une gifle dans son esprit.
Lâche.

Le corps de Sensei venait de tomber sur lui comme un amant féroce impatient de combler ses appétits. Il était lourd et agité au dessus lui. Ses yeux morts le fixaient autant d'un regard désespéré que la friandise gourmande dont vous connaissez à l'avance l'extase que vous procurera son goût délicieux. La mâchoire de Sensei s'ouvra si grand que cela en paraissait douloureux, dévoilant une parfaite dentition sur le point d'entamer son carnage.
Teia entendit ce cri lointain qu'il savait lui appartenir. Par delà la mort, il l'écoutait comme à travers un sommeil profond, mais réalisa finalement qu'il se trompait. Ce n'était pas lui qui hurlait à la mort. Seulement maître Nao se faisant l'écho de sa propre terreur.

Le Gouverneur de Kaminoi s'effondra comme une loque. Ses membres flasques s'étalaient en angles bizarres sur le marbre froid. Les mêmes tentacules filandreux qui avaient cherché à étouffer Morgane s'entre-mêlèrent autour de lui comme les ficelles d'une marionnette laissée à l'abandon. La mage de guerre venait de couper les liens du pantin. Peu à peu, les corps des gardes et membres du conseil morts s'écroulèrent à leur tour.

Le souffle court, Micah semblait reprendre le contrôle de lui-même alors qu'il tentait de se redresser. Des litres de sueur dégoulinaient sur ses muscles tendus. Une rage folle teintée d'épuisement possédait la lueur de son regard sombre, ses lèvres aussi pincées que ses épais sourcils.

_Ce crétin a bien failli nous faire tuer, gronda t-il d'une voix enrouée.
_Teia, écarte-toi !

Teia ne réalisa la tétanie du zombie que grâce à l'avertissement de Morgane. Le corps de Sensei demeurait figé sur le sien, tout comme cette expression effroyable adoptée pour le dévorer un instant plus tôt. Teia se tortillait de manière à s’échapper de cette étreinte morbide, mais la rigidité cadavérique de Sensei le maintenait prisonnier de son corps.
Dans sa voix ; un soupçon de panique :

_Je suis coincé !
_Crevé la gueule ouverte, c'est tout ce que ce crétin aura mérité, commenta Micah une fois sur ses deux jambes.
Il n'osa pour autant pas entreprendre le risque de placer un pied devant l'autre comme il sentait son équilibre encore incertain le faire vaciller.
_Sortez-moi de là ! Pourquoi il bouge pas ?! Mais dégage !

Morgane s'approcha lentement, étudiant du regard tous ces morts étalés au sol, excepté celui de Sensei qui persistait dans son rôle de statue de marbre. Si Teia aurait commis la même erreur que Sensei en continuant son carnage, l'Animato s'en serait galvaniser, perpétuant l'alimentation de ses forces nécromanciennes. Personne n'aurait survécu. Jamais Morgane ne se serait débarrassée des tentacules. Jamais elle n'aurait pu incendier les liens métaphysiques de Nao qui le reliaient à l'Animato.
Elle s'agenouilla délicatement au coté de Teia dominé par le zombie, ne parvenant pas encore à décrypter le phénomène dont Sensei était victime.

_Je n'aurai pas la force de le faire bouger.

_Alors fais-le exploser ! S'enquit Micah, ce qui fit tourner Morgane dans sa direction.
_Pas sans les perdre tous les deux. Toi par contre, tu as plus de force que moi...
_Cet inconscient nous a mené à la mort ! Rugit Micah. Si je le touche ça sera uniquement pour lui briser la nuque.
_Ce qui ne changerait rien pour lui, Micah. Nous parlons ici d'un cadavre...
_C'est vivant ! (Morgane reposa les yeux sur Teia.) Ça a bougé, je l'ai vu ! Je ne veux pas qu'il se réveille ! Sortez-moi de là, répétait-il, sortez-moi de là !

Teia redoubla d'effort pour s'enfuir, mais Sensei ne bougeait pas d'un cil... Ou presque. Morgane posa une main rassurante sur son épaule. Elle était sur le point de lui expliquer qu'il pouvait ne s'agir que d'un réflexe des nerfs post mortem, mais n'en eut pas l'occasion.

De son regard vitreux, Sensei venait effectivement de cligner des yeux. Deux fois.


Dernière édition par Maitre Toki le Mer 7 Aoû - 9:12, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptySam 14 Jan - 18:22

***
Chapitre 9 : Toki Sensei


Le pire de tout, c'est qu'il ne s'en était jamais rendu compte. Jusqu'à ce fameux petit déclic qui le fit cligner des yeux. Deux fois.

Il pourrait paraître aisé de savoir à quel moment on se retrouve emprisonné, à condition de déceler quelques barreaux conditionner votre espace vital restreint. Mais calfeutré dans une prison faite de chair et d'os, dans un corps usé où le cerveau refuse toute réflexion trop avancée, parvenir à cette conclusion devenait alors un véritable exploit.

Combien de litres de soupe son estomac fut-il contraint d'ingurgiter ? Les signaux de détresse envoyés par une vessie sur le point d'imploser lui fit comprendre à quel point la situation devenait critique. Cet avertissement désespéré provoqua un soudain éclaircissement de son esprit. Très court. A peine le temps de comprendre qu'il lui fallait déranger ses vieux os abimés au plus vite. Son esprit lui imposait l'image d'un arbre derrière lequel il se soulageait. Son cerveau comprit l'urgence de la situation, invoquant une poussée d'adrénaline sans précédent pour commander aux muscles du vieillard de se lever. De trouver cet arbre dehors, de libérer cette insupportable pression, de savourer cette délivrance.
Un sourire proche de l'orgasme au coin des lèvres encore enduites de soupe, voilà qu'il se soulageait enfin d'un terrible fardeau. Puis Maitre toki ouvrit de nouveau les yeux, se rendant compte par l'humidité poisseuse de son pantalon qu'il venait tout juste de s'uriner dessus. Son corps meurtri par les ages refusait toute obéissance. Et par l'odeur qui s'en dégageait, il était clair que cela n'était pas la première fois...

_Un peu de soupe ? Lui demanda une voix féminine, lointaine.

Cette voix lui paraissait familière, et pourtant il ne se souvenait pas la connaître. Et si le ton employé se voulait agréable, la question le dégoutait fortement.

_Je... (Comment avouer son indignité devant une jeune femme ? Il hésita.) Assez. Plus de soupe. C'est assez.
_Il n'y a pas meilleur remède ! L'encourageait-elle de manière enjouée. Les légumes sont le secret de la longévité. (Mais je n'en peux plus de cette longévité) Allez ! On mange tant que c'est chaud. (Je ne mange plus. Je bois... pour le seul plaisir de me pisser dessus.) Un petit effort, c'est pour ton bien. (Non, terminé... Arrêtez.)
_Arrêtez.

La femme grimaça gentiment, posant ses poings sur les hanches de manière faussement autoritaire. C'était sa manière à elle de l'encourager, mais Maitre toki commençait à comprendre l'illusion de la situation.

_J'ai 38 ans. Pourquoi ai-je l'impression d'en avoir 83 ?
_Parce que c'est l'age que tu as. Tu te souviens ?
_Me souvenir de quoi ?

Elle soupira. Maitre toki leva les yeux à sa rencontre. Il en distinguait surtout les formes et quelques couleurs, mais le visage qu'il observait demeurait principalement flou.
Brune. La femme devait être brune. Mais d'un noir si désaturé qu'il en paraissait presque bleu clair ou turquoise. Deux petites pointes excroissances étranges pointaient à travers sa chevelure au niveau de ses oreilles.

_Qui êtes-vous ? Demanda t-il.
_La soupe va refroidir, lui répondit-elle plus sèchement.
_Il faut... Je dois me changer.
_Ce n'est pas grave. Grand-mère ne va pas tarder. (Parlait-elle de Gwaedia?) S'il te plait, finis ta soupe.
_Est-ce toi, Kaeriss ?
Cette fois, la jeune femme exprima la totalité de sa colère.
_Non !
Puis elle s'en alla précipitamment.
_Attendez ! Peut-être... Kyra ?!
_Elles sont mortes depuis longtemps et tu le sais. Ne me le fais plus jamais répéter !

Sa voix se faisait plus mordante, mais également plus faible à mesure où elle s'éloignait de lui. Les bruits de pas dans son dos finirent par disparaitre, et le silence frappa ses tympans comme une soudaine surdité.
Maitre toki n'allait pas rester là. Où se trouvait-il d'ailleurs ? Il avait l'impression de connaître cet endroit, sans pour autant le reconnaître. « Je suis vieux et sénile. »
Son corps avait refusé tout mouvement lorsque sa vessie lui avait crié à l'aide avant de craquer. Mais alors qu'il se sentait reprendre quelque peu ses esprits, une douleur fulgurante lui comprima le dos tandis qu'il lutait pour se lever. Tel un cadavre expulsé de sa propre tombe, il se trouvait piégé dans son propre corps.
« Non, pas mon corps. Impossible. Jamais. »
Dans un extraordinaire effort, Maitre toki s'extirpa de son tabouret en prenant appuis au comptoir. Il n'avait pas prêté attention à son bol de soupe qui l'attendait, le renversant de tout son contenu sur ses vêtements. Visiblement, ce n'était pas non plus la première fois qu'il se tachait de son potage infâme. D'un revers de la main il chassa le bol du comptoir, se disant qu'il n'était plus à quelques taches prêt sur son pyjama.
« Pyjama ? Ça devient vraiment ridicule. Je suis vraiment ridicule »

Marcher n'était pas aussi difficile qu'il s'y attendait maintenant qu'il se tenait debout. Le gros effort consistait surtout de parvenir à se lever. Ses forces vitales aspirées, il n'en restait pas moins capable d’exercer encore quelques mouvements simples. Maitre toki avait ni plus ni moins l'impression de réapprendre à marcher. Que lui avait fait cette femme ? Qu'y avait-il dans cette soupe qu'elle lui obligeait d'avaler, en plus de ses aubergines ? Il ne pouvait croire en ce cauchemar.

« Cauchemar... » Ce mot raisonna en de nombreux échos contre les parois de son esprit. Son dernier souvenir semblait lui remonter à très loin, trop loin. Ou peut-être pas. Tout était confus. Il vivait un rêve éveillé. Un fantasme de quelque réalité alternée.
A cette simple révélation, sa vue trouble glissa de son regard comme si on avait extirpé un voile devant ses yeux dont il n'avait pas eu conscience jusque là. La lumière était plus vive. Les couleurs merveilleusement saturées. Les noirs redevenaient profonds et intenses ; à l'instar de cette silhouette ombragée qui le fixait sans ciller. Une silhouette piégée dans les ténèbres qu'il fallait délivrer. Il la reconnaissait. Il savait exactement qui se tenait là, devant lui. Et à mesure où il s'en approchait, il façonna cette image dans son esprit exactement telle qu'il savait la découvrir. Les ombres se volatilisèrent.

Son regard était vide. Ses yeux verts n’exprimaient pas la moindre foutue émotion. Mort, c’est ainsi qu’il se reconnaitrait.
De son regard vitreux, Sensei venait de cligner des yeux à deux reprises.

« Quand tu donne vie à tes propres illusions, leur laissant le choix de l'évolution, tu en fais un fantasme. Je n'étais qu'un souvenir perdu dans ton esprit. Une émotion brisée, fragmentée en particules de pouvoir. Le traumatisme de la mort m'a finalement donné la vie, comme pour conserver inconsciemment ton innocence perdue lors du décès de maman.
L'émotion, le pouvoir, la mort... ingrédients incontournable d'un illusionniste nécromant. Voici donc ce que je suis. Pas un fantôme. Pas une illusion. Pas vraiment un Homme. Je suis ton propre fantasme. »


Les lèvres de Sensei n'avaient pas bougé. Ses mots venaient de résonner dans la tête de Maitre toki de manière à répondre à ses propres révélations. A un tournant tragique de sa vie, Maitre toki avait fait apparaître un double de lui-même de cinq ans son cadet. Une illusion incontrôlée pensait-il, jusqu'à ce que Sensei agisse et pense comme un véritable être humain. Il pouvait même vieillir, grandir, apprendre de ses erreurs, jusqu'à se forger son propre caractère. Une version différente de lui même. Alternative et utopique.

_Un fantasme, Sensei. Nous savons enfin ce que tu es. Et c'est en le comprenant que je peux réaliser me trouver également à l'intérieur d'un tout autre fantasme. Un fantasme engendré par Lui, Le Père de mes habilités d'illusionniste nécromant. Je suis enfermé dans le fantasme de mon avenir, du corps vieux et usé de mes cauchemars que je n'aurai jamais, car je ne vieilli plus depuis que je l'aime.
« Depuis que vous culbutez ! » Le corrigea Sensei depuis ses pensées les plus intimes.
_Lorsque l'on s’unit, elle et moi, c'est comme si je m'abreuvais à une fontaine de jouvence.
« Quand tu t'abreuves de sa... »
_Tais toi.

En prenant conscience de la forme de sa prison, Maitre toki s'y extirpa aussi simplement que le fait d'y penser. Bientôt, l'illusion de son corps à l'agonie disparaissait dans le néant, et Maitre toki recouvrit sa véritable apparence. Celle d'un homme de 38 ans, qui n'en paraissait que 25.
De son coté, si Sensei était le fantasme de Maitre toki - lui même emprisonné dans ce cauchemar fantasmagorique - l'Animato ne pouvait exercer aucun contrôle sur le cadavre de Sensei sans court-circuiter les fantasmes ; les briser. Et c'est exactement ce qu'il finit par advenir.

« J'ai très mal à la tête tout d'un coup. »
_Non, c'est moi.

Maitre toki renvoya Sensei s'évaporer spirituellement vers son corps d'origine. Un corps sans vie dans lequel Sensei continuerait cependant d'évoluer. A l'intérieur de cette enveloppe conçue pour agir selon les lois biologiques d'un véritable être humain, Sensei n'était plus qu'un esprit libre piégé dans le corps en décomposition du cadavre en mouvements créé par la nécromancie de l'Animato.

N'ayant pas encore conscience de cette abomination, Maitre toki redécouvrait le lieu où il se trouvait, l'anticipation d'une nostalgie prochaine lui comprimant l'estomac. Cet endroit était encore nouveau dans l'antre des Dragons Maudits, mais il comprenait enfin pourquoi on l’appelait l'aubergine de jeunesse.
Cette soupe d'aubergines devait servir uniquement de diversion aux propriétaires de l'auberge qui vous subtilisaient votre jeunesse. Une mixture savamment dosée de quelques ingrédients au charme puissant pour vous endormir sur leurs réelles manigances. L'Animato en avait ainsi trouvé l'opportunité idéale pour enfermer Maitre toki dans son fantasme de vieillard sénile, laissant libre court à ses machinations de prendre forme par delà l'horizon.

Dans les couloirs de cette caverne souterraine, vide et désertique, Maitre toki s'attardait ça et là, son esprit vagabondant sur tous les recoins emplis de souvenirs. Les Dragons Maudits, dont il assurait la fonction de chef de guilde, étaient avant tout une famille en qui il tirait une grande fierté.
Un instant, il se demanda si le parchemin qu'il avait rédigé en Kaminoi-eka, juste avant sa captivité dans l'aubergine de jeunesse, méritait réellement l'apposition de sa signature.
Certes, cette guilde avait réalisé de grandes choses, accompli de grandes aventures, mais ce temps là était révolu depuis bien longtemps. Il suffisait de contempler l'absence de vie dans les couloirs de l'Antre pour s'en faire une idée.
Le devenir de l'empire le décevait atrocement. Lui, mais également tout l'ensemble des Dragons Maudits. Tandis que les fondements du pacte reposaient sur une alliance entre l'Homme et le Dragon, sur un équilibre entre la folie et la droiture des uns, contre la force d'esprit et la bêtise des autres, Maitre toki comprenait que celle-ci n'avait plus aucune raison d'être. Alterna - la Matriarche des Dragons - ne l'avouerait sans doute jamais, mais les Hommes ne leur apportaient plus cette plénitude qui canalisait leur énergie. Le temps avait simplement permis aux Dragons de se revitaliser. Le moment était venu pour chacun de voler de ses propres ailes.

« -Deux choses me retenaient, philosopha intérieurement Maitre toki. Ma guilde et mes filles. Si la première n'a plus lieu d'être, les secondes sont assez grandes pour les laisser vivre leur vie. A présent nous y sommes. L'ultime odyssée s'achève là où commence ma prise de liberté. Un lâché de Dragons... Comme ce doit être extraordinaire !
M'entends-tu, Toi-Qui-Ecrit-tout ? N'est-il pas venu, enfin, le moment tant attendu d'apposer le point final largement mérité ?
» - Si.

Maitre toki hésita un instant supplémentaire...
Peut-être serait-il plus judicieux de commencer par se trouver quelques habits propres, loin des odeurs incommodantes de sa propre urine.
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyVen 20 Jan - 16:52


***
Chapitre 10 : Les pygmées



De toute sa prodigieuse grandeur, la géante bleue contemplait la vermine sillonner entre ses jambes sans comprendre ce qui pouvait la retenir de tous les écraser. Si une fée dépassait un troll des bois de quelques têtes, les pygmées eux, n'auraient d'autre choix que de lever les yeux pour croiser le regard de ces derniers. Que dire alors pour croiser celui d'un Homme... Et c'est exactement avec la notion de supériorité d'un Homme observant un pygmée, que Navi se trouvait là à réfréner ses envies meurtrières.
Les pygmées se différenciaient des Hommes bien plus que de leur taille minuscules, mais  également de leur nature discrète ainsi que de leur rareté. Ces créatures quelque peu irréelles vivaient à la croisée des mondes. Elles étaient partout et nul part à la fois ; des apparitions fugaces, représentations chimériques plongées dans un monde tout droit sorti de l'imaginaire. Les pygmées traversaient une multitude d'univers grâce à un moyen de locomotion tout à fait particulier : celui de la muse. Grâce à elle, les pygmées pouvaient faire parvenir toutes sortes de messages relatant les évènements dont ils étaient témoins. L'auteur inspiré par la muse était seul à décider si ces échos rapportés par les pygmées seraient réalité ou fiction, et pouvait même décider d'apparaitre sous les traits de l'un d'eux si cela lui chantait.
Tout comme les Hommes, les pygmées étaient capable aussi bien les uns que les autres de transformer les histoires du tragique au  romantique, du rire au larme, de la vie à la mort. Leurs messages inspiraient autant les auteurs de fiction que les discours des plus grands tyrans de l'empire.

Entièrement revitalisée de ses dernières mésaventures, Navi occupait ses énormes mains à plisser les pans de sa robe bleue afin de les empêcher d’aplatir une foule en panique à ses pieds. Une foule composée d'hommes et de femmes peuplant le royaume de Kaminoi sur Tecil.
Aussi minuscules que les pygmées, aussi maladroits et imprévisibles, cette bande d'incapables ne devait certainement pas se douter que la plus horrible des catastrophes qui s'abattait sur leur tête était entièrement leur faute. Ils avaient laissé le véritable usurpateur au pouvoir. Un pouvoir qui ne lui appartenait pas, et qui permit à une force bien plus obscure d'écarter les derniers Gardiens de Sa prison. L'Animato regagnait des forces à une vitesse inimaginable, et personne ne pouvait rien y changer. Sa prison le comprimait d'avantage à mesure qu'Il retrouvait son pouvoir. Elle finirait tôt ou tard par imploser d'elle même, libérant cet esprit sombre d'une frustration enfouie dans la roche et la terre depuis des dizaines d'années. L'heure de Son avènement était venu, et Navi se demandait une fois encore pourquoi les responsables méritaient sa clémence.  
Elle continuait de les observer de cet œil hautain et répulsif qu'aurait un humain envers un pygmée. Une curiosité. Une erreur de la nature. Un bug dans la matrice.

_Navi !! Hurlait Kaerïss. (La géante fée réalisa qu'on lui criait son nom depuis longtemps déjà, mais qu'elle refusait d'écouter jusqu'ici.) [color=#00BFFFTu vas vraiment finir par en écraser si tu ne fais pas plus attention ![/color]
_Pour moi ils ne sont rien. Ils sont déjà morts, marmonna celle-ci entre ses dents.
_Ils ne le resteront pas. Ils se relèveront. Alors, ils deviendront bien pire que ça. L'influence de l'Animato a reculé, ne lui donnons pas l'opportunité de revenir aussi vite.
_Ce ne sont que des lâches ! S'emporta Navi en secouant la tête.
Kaerïss enroula fermement ses jambes autour de la boucle d'oreille de Navi qui se balançait dangereusement. Si elle glissait, la chute qui l'attendait lui serait fatale.
Navi émit un petit son plaintif suite à ce poids qui menaçait de lui déchirer le lobe de l'oreille. Comme l'adolescente devenait trop inconfortable, Navi se résigna à porter Kaerïss entre ses cornes qui lui poussaient sur la tête.
La géante bleue continuait d'avancer en soulevant les jambes au dessus des bâtiments du royaume sans précaution aucune, Kaerïss se cramponnant de toutes ses forces entre ses branches.

_Un sombre crétin demande le pouvoir et on le lui donne. Les humains sont-ils tous aussi stupides que ceux-ci ?
C'était une question rhétorique. Navi vivait avec les humains depuis suffisamment longtemps pour en connaître la réponse.

Quelques cris supplémentaires alertèrent Kaerïss qui manqua de glisser de ses prises. Navi venait de trébucher contre une maison en pierres. Les maisons en bois qui les précédaient ne lui procuraient pas la même résistance, ce qui voulait dire que le château ne se trouvait plus très loin.
_Ils n'ont jamais cherché à disculper Maitre toki, eux qui lui doivent la vie, continua Navi. Ils ont simplement laissé faire sous prétexte d'être intellectuellement dépassé ? Quelle foutaise...
_Nous ne sommes pas là pour analyser la chute du royaume, Navi. Nous sommes là pour le relever !

Navi n'y croyait plus. Ce royaume n'avait plus aucune raison d'être sauvé. Si son peuple ne se battait pas pour lui, alors il ne le méritait pas plus que l'Animato. A cette pensée, la perspective d'imaginer Kyra luttant seule contre Lui sur le dernier rempart de terres qui subsistait au milieu des eaux d'Ekarys, bouleversait littéralement le comportement de Navi. Lorsque Kaerïss lui avait fait part des derniers évènements dans le moindre détail, la petite fée s'était métamorphosée en une sorte de furie incandescente.
Kaerïss savait parfaitement que le peuple était facilement impressionnable. L'idée d'une fée géante écrasant leur maison était capable de les pousser à la révolte, si ce mastodonte insolite leur rappelait ce qu'ils risquaient de perdre. Mais l'adolescente se demandait finalement si procurer à Navi cette potion qui fait grandir était une si bonne idée que ça. La petite furie incandescente devint cette géante sanguinaire et sans pitié dont Kaerïss ne parvenait à réfréner la colère.

De nouveaux pygmées fourmillaient aux pieds de la géante bleue. Ceux-ci étaient différents. Ils marchaient d'un pas rapide mais ne paraissaient pas vraiment s'enfuir. Navi soupira, laissant ces quelques mots lui échapper :

_Regardez-moi ces insectes abandonnant leur nid. Si hautains. Si impétueux. Marchant tranquillement plutôt que de se carapater à toute vitesse.
_On n'est vraiment pas là pour ça, corrigea Kaerïss soudainement las de parler dans le vent. Je ne te reconnais pas Navi, ressaisis-toi !

Kaerïss avait raison. Certes, Navi en avait la taille, mais il ne lui appartenait certainement pas d'abattre son courroux de déesse qu'elle n'était pas. Les trolls des bois la vénéraient comme tel, mais il lui fallait se souvenir qu'elle ne serait jamais plus qu'une petite fée sans aucun droit de jugement divin. Se prendre pour une divinité qu'elle n'était pas avait causé beaucoup trop de problèmes. C'était bien dommage.
Navi devait à tout prix réfréner sa colère pour reprendre possession de ses moyens. Kyra comptait sur elle. Alors que Navi écrasait des maisons par frustration, Kyra, elle, défiait l'Animato sur son propre terrain malfamé depuis des jours entiers. Elle et personne d'autre. Pas même Maitre toki, si ingénieusement porté disparu.
Quelque part, même si elle connaissait l'injustice de cette pensée, Navi blâmait le père de Kyra de s'être défilé tout au long de cette épreuve, cet ultime odyssée. Pour ce qu'elle en savait, Kyra était peut-être déjà morte et son père n'aurait jamais rien fait pour l'aider. Ce qui rajoutait un poids supplémentaire dans la balance qui penchait un peu plus du coté frustration. Mais comment aurait-il pu en être autrement, alors que Navi venait justement de croiser le regard cadavérique de Maitre toki...

La géante se mit à blêmir. Toute trace d'agressivité déserta le moindre de ses gestes quand elle comprit ce qu'elle observait réellement : son pied droit écrasant un corps tremblant.
Navi releva précipitamment la jambe et s'écroula au sol.

_Par les Déesses ! J'ai piétiné Maitre toki !

Kaerïss bondit de son perchoir et se laissa glisser à terre avant de courir en direction du corps de son père. Des larmes scintillaient déjà dans son regard affolé. Le corps frétillait de douleur tel un insecte blessé. N'était-ce pas ce que Navi pensait d'eux un instant plus tôt ? Qu'ils n'étaient tous rien d'autre que des insectes ?
Kaerïss attendit un sentiment de rage la submerger, mais il n'en fut rien. L'adolescente était en état de choc devant ce corps qui, telle une mouche à demi écrasée sur le dos, désespérait de trouver un moyen pour se relever, mais n'y parvenant que grâce à l'aide combinée de Teia et Morgane.

_Sensei... Souffla Kaerïss, mais l'horreur que représentait le cadavre de son père ne la soulageait aucunement.
_Ça alors, il est toujours en vie ?! S'étonna Navi.
_Ça se discute.
_Soit il est mort, soit il ne l'est pas ! S'indigna Kaerïss. Mais elle comprit bien vite où Micah voulait en venir.

Une voix venue d'autre-tombe raisonna dans les tréfonds de la gorge de Sensei. Tant que ses organes buccaux ne se décomposeraient pas, le zombie serait toujours en mesure de faire la conversation. Une conversation de plus en plus maladroite et laborieuse, ce qui demeurait tout de même un exploit pour un macchabée.

_Mon corps est mort... (Pour l'heure, son élocution restait encore trop parfaite dans la bouche d'un cadavre) … Réanimé par Lui... (la nécromancie de l'Animato, songea Kaerïss) Mais toujours là... prisonnier de ma chair morte... (Chair qui partait en lambeau à chaque mot exprimé)

Navi posa une main sur son ventre, l'autre devant son visage. Elle sentait de la bile lui remonter depuis ses tripes jusqu'à tenter un passage à travers ses narines.

_Je vais vomir... Prédit-elle.
_Je t'interdis de gerber sur moi ! Vociféra Micah sous la menace que représentait le bouche immense de la géante qui le dominait.

Le zombie ne s'y laissa pas distraire. Il questionna :

_N'aurais-je pas quelques cotes de brisées ?
_Tu t'es fait aplatir par une géante, lui rappela Teia comme l'évidence même.
_Oh. Ça ne fait pas si mal.
_Ça devrait...
_C'est certainement parce que les terminaisons nerveuses de son cerveaux qui contrôlent la douleur sont mortes, pour la plupart.

L'explication que venait de fournir Morgane fit traverser une idée saugrenue dans la tête de Micah. Si Sensei ne ressentait plus la douleur et qu'il était également incapable de mourir, qu'adviendrait-il si on lui arrachait la tête ? Micah en mourrait d'envie depuis le carnage dans la salle du conseil.
Sensei déambulerait-il à l'aveugle à la recherche de la partie manquante de son anatomie ? Se déplacerait-il à tâtons dans l'espoir de recoller les morceaux ? Ou bien à la manière d'un vers coupé en deux, ses deux extrémités ne seraient-elles plus que deux parties indépendantes ? Ce serait plutôt amusant.
Au vu du silence qui régnait soudainement, Micah n'était certainement pas le seul à se poser la question. Navi dût voir la lueur d'excitation qui brillait dans les yeux de Micah tandis qu'il lutait contre sa propre curiosité. L'image était trop forte dans leur esprit.
L'espace d'un sursaut glacial, la tête de Sensei pendait nonchalamment sur ses épaules défraichies. Le craquement d'os brisés ne pouvait être simulé que dans leur fort intérieur. Les yeux désespérément fermés pour chasser cette image trop réelle, on ne pouvait qu'entendre un rire glauque et désespéré s'échapper de la gorge de Micah.
Le zombie cherchait désespérément à réajuster ses propres vertèbres, gloussant comme un bébé qui venait de comprendre les bases du bricolage grâce à ses jeux en forme de cubes et de cylindres. Certains peuvent s'emboiter ; d'autres pas.
Un déluge de grumeaux nauséabond leur coula sur la tête.

Quelques pas en retrait, Kaerïss ne participait pas à cette illusion collective. Elle demeurait silencieuse et observatrice du phénomène qui les manipulait tous, tandis que Navi venait de vomir de dégout. C'est alors que Kaerïss comprit véritablement son rôle dans toute cette histoire. L'Animato ne pouvait rendre réels ses cauchemars. A un moment où un autre, tout le monde se faisait piégé par ses illusions. Mais pas Kaerïss. Lui ne la connaissait pas.


Dernière édition par Maitre Toki le Mer 7 Aoû - 9:45, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyJeu 26 Jan - 18:23

***
Chapitre 11 : Nos pires cauchemars


Il est toujours nécessaire de briser quelques rêves avant d’installer un cauchemar.

La solitude. C'est toujours ainsi que débute un mauvais rêve. Vous êtes seul, abandonné de tous, un sentiment de fatalité étrange escaladant les prémices de votre angoisse.
Le soutien, l'encouragement, la motivation ; lorsque tout cela disparaît, lorsque plus personne ne se tient à mes cotés pour luter contre la mort, où puis-je encore puiser mes dernières forces ?

Vient alors l'impuissance. Le danger est là, comme une présence persistante qui contracte vos poumons écrasés dans votre poitrail. Vous oubliez comment appeler à l'aide : vos cris intérieurs refusent toute projection orale. Alors vous espérez courir, le cœur palpitant avec énergie pour gaver votre corps de toute l'adrénaline disponible jusqu'au risque de provoquer l'overdose.
Et pourtant je stagne, incapable de distancer les ombres glissant silencieusement autour de ma gorge. Et serrer. Serrer plus fort.

C'est précisément à ce moment de mort imminente que vous vous réveillez d'un sursaut douloureux. Si l'on ne peut se noyer volontairement autrement qu'à l'aide d'une pierre attachée au bout d'une corde, c'est parce que votre corps aura toujours ce réflexe lié à son propre instinct de survie. A l'instant critique précédent la mort, il finira toujours par se débattre de soubresauts pour vous sauver la vie. C'est cette même décharge d'adrénaline qui vous empêche de mourir dans votre sommeil. A ce stade pourtant, Kyra ne se réveilla pas.
En cet instant où la mort et le désespoir venaient la cueillir, Kyra ne s'évadait pas de son cauchemar d'un profond soulagement. Son esprit torturé, son cœur affolé, la fièvre brulante de ses angoisses, rien en elle ne connaitrait plus aucun réconfort. L'histoire continuait par delà les frayeurs tolérables de l'esprit humain, plongeant le sien dans les abysses d'une terreur noire et sans issue.

La fuite était vaine. Le combat perdu d'avance. Quand il ne reste plus d'espoir mais la promesse du sommeil éternel, on se dit finalement qu'un peu de repos ne ferait pas de mal. Kyra attendait sa dernière heure comme une délivrance, une convoitise. Les griffes qui lui surgissaient habituellement au travers de la chair de ses bras chaque fois que la transe s'emparait d'elle, s'étaient résorbées depuis longtemps. A genoux, le dos arrondi par l'épuisement intolérable qui s'abattait sur son corps aussi brisé que son esprit, Kyra souriait. La joie n'avait vraiment rien à voir avec le contour fragile de ses lèvres abattues.

Ne la quitant jamais des yeux, l'Animato glissa silencieusement à travers les ténèbres. Les contours incertains de Sa silhouette chimérique dansaient au milieu des ombres qui s'inclinaient de respect devant Son avancée biblique. En Dieu réincarné des enfers qu'il rapportait avec Lui comme une offrande destinée aux Déesses, l'Animato foulait le sol de Sa terre natale grâce à Son nouveau corps matériel. Un corps fait de chair et de sang. Un corps facile à tuer... S'il avait été humain.

Les Déesses de pierres hurlaient de rage parmi le vacarme provoqué par la chute du royaume. Ceci n'était pas une métaphore : Kaminoi dégringolait littéralement de tout son poids, de toute sa masse. Les fondations s'écrasaient en impacts lourds et puissants contre le dos des Déesses arquées par la douleur.
Sineya fut la première à se retrouver totalement immergée sous l'océan déchainé. La Déesse se serait noyée sous les décombres si une telle chose lui était possible. Ne pouvant continuer de maintenir les restes de Kaminoi à elle seule au dessus de ses épaules, Vereesa survivait encore, la tête difficilement levée hors de l'eau. Mais les bras fléchis sous sa poitrine ne retenaient plus grand chose. Ainsi, Kaminoi penchait du coté où Sineya manquait à l'appel, propulsant une Kyra inerte ainsi que toutes les abominations de l'Animato vers le vide. Et plus bas, bien trop bas : les restes du royaume qui trempaient à demi dans les flots.
Vereesa surplombait la scène en criant continuellement l'étendue de son impuissance. Ses pires cauchemars devenaient réalité. Elle sentait ses doigts glisser contre la roche humide, ses bras céder par la force de l'effondrement. Là tout de suite, si la Déesse venait à se trouver face à celui ayant pondu la bonne idée de créer la gravité sur terre, elle l'aurait noyé de ses propres mains. Malheureusement, celles-ci étaient bien trop occupées à hésiter entre sauver son amante piégée sous les ruines de Kaminoi qui s'abattait sur elle, et rattraper sa descendance qui roulait vers une chute mortelle.

Soudain, un chaos de giclées d'eau et de gravas recouvrait le spectacle des titans de pierre broyés par le socle de l'ancien royaume. Le ciel opacifié par la poussière créait un voile sombre impénétrable qui tourbillonnait au rythme du typhon, comme pour interdire à quiconque d'observer le drame que semblait censurer la nature elle-même.
Kaminoi-eka n'existait plus, mais un bras surgit subitement en dehors de cette couche de boue et gravas. Un bras aussi immense et puissant que blessé et tremblant. De Kaminoi, il ne restait plus que la sculpture vacillante d'une main en coupe dressée au milieux des eaux d'Ekarys, le corps détrempé et meurtri de Kyra recroquevillé en son foyer. La main dressée formait un cocon chaud et réconfortant pour l'adolescente, qui tremblait si fort de froid et de peur qu'elle en convulsait.

Une ombre invisible se pencha auprès d'elle. Le véritable combat se livrait là, à l'intérieur, derrière ces paupières clauses et crispées par l'angoisse. Un monde de cauchemars infinis où règnait les tourments infernaux de Celui qui à présent était libre. Kyra se retrouvait enfermée dans Sa prison métaphysique de cauchemars et offerte à Son jugement. Un comble pour celle qui devait en être la gardienne.
Mais la gardienne était double.

Un écho dans le silence. Mon nom. Un garçon cri mon nom. Appel à l'aide ou promesse de salut ? La voix se rapproche. Une silhouette dans les ténèbres. Djïn...

-Djïn, c'est toi ?
-Kyra !

_Kyra, m'entends-tu ? C'est moi, il faut te réveiller. Tu fais un cauchemar.
-Oui Djïn, c'est bien moi.
-Kyra, ce feu est trop froid, libère-moi !

_Fais un effort, ne reste pas coincée là dedans ! Je vais te gifler s'il le faut.
-Aie !
-Que se passe t-il ?!
-Je crois qu'on me réveille.
-Non, tu ne peux pas me laisser !
-Djïn, où es-tu ?
-Il va me tuer !
-Mais enfin, tu es déjà mort...
-Kyra !!

_Kyra, écoute moi ! (Celle-ci sembla obéir en ouvrant de grands yeux, mais ils demeuraient blanc ; le cauchemar se déroulant toujours derrière eux) Je sais comment l'Animato a tué grand-mère. Papa m'a tout raconté, ne te laisse pas berner à ton tour !
-Djïn, où étais-tu passé ? Je t'avais perdu depuis le courant d'air. Depuis mon exil.
-J'étais coincé là, comme Il t'a séparé de tous. Il te voulait seul, mais Il a échoué, je suis toujours là ! Aide-moi. Le feu est partout maintenant, oh... je brule !

_Il brule ! Hurla Kyra dans son demi-sommeil.
_Ce n'est qu'un mensonge, persista Kaerïss. Grand-mère était seule, mais nous, nous sommes deux ! Peut importe ce qu'Il te montre. Peux importe ce que tu vois, le visage qu'Il arbore. C'est Lui !
_M'a sauvé des flammes ; l'en est mort ; 'peux pas le laisser là !

Les larmes qui coulaient des yeux révulsés de Kyra accompagnaient une petite voix strangulée méconnaissable. Kaerïss comprit alors que l'Animato avait toujours gardé un œil sur la gardienne de Sa prison pour se préparer au jour venu de Son avènement. Cela avait toujours été la même stratégie.

Grand-mère Taki avait coutume d'accuser ses Mères pour la mort de leur grand-père. Ce que Kyra ignorait, c'est qu'elle possédait les mêmes dons de vision que sa grand-mère. Grâce à eux, grand-mère avait continue de vivre et de converser avec le défunt père de son fils. Le fantôme accusait les Déesses d'avoir écrasé son cœur jusqu'à ce qu'il ne cesse de battre, car ce cœur impure était indigne de leur progéniture. D'ailleurs, Sineya et Vereesa n'avaient cessé de confirmer leur répulsion à l'égard de cet homme. Et pourtant, les Déesses gardaient en elles un terrible secret.
Depuis Sa prison dans la roche de Kaminoi, l'Animato fût habilement parvenu à se jouer d'elles. Ce maître infernal des illusions opérait depuis Ses ténèbres silencieuses, bombardant les Déesses de messages corrompus sur l'identité de son prochain hôte de chair - celui à travers lequel Il choisirait de s'élever hors de Sa prison. Mais l'Animato n'avait nullement besoin d'hôte, si la gardienne elle-même déverrouillait la porte de Sa cellule immatérielle.
Lorsque influencées par la rumeur, les Déesses invoquèrent le courroux désespéré d'une crise cardiaque, la nécromancie de l'Animato se faufila dans les méandres de l'esprit du cadavre, faisant ainsi Sien son fantôme.
Taki ne put jamais se résoudre à plonger ses lames jumelles dans l'enveloppe fantomatique de l'homme qu'elle aimait. Elle en avait déjà tué un par le passé. Le second - même sous l'aspect d'un fantôme - était simplement au dessus de ses forces, car ses yeux ne lui révélèrent jamais la véritable apparence chimérique de l'Animato.
A travers les larmes des yeux aveugles de Kyra, Kaerïss discernait combien le combat qui faisait rage dans ce monde de cauchemars lui coutait. Leur grand-mère elle-même avait péri en livrant cette même bataille.

-Tu n'es pas Djïn, n'est-ce pas … Où est-il ?
-Oh si, c'est bien Moi Kyra. C'est bien Moi qui t'ai sauvée de cet incendie lorsque tu n'avais que deux ans. J'ai brulé à ta place Kyra ! J'ai brulé, comme Je brule encore aujourd'hui. A ton tour : sauve-Moi !

_Détruis-le, Kyra ! Détruis-le !
_Non !

Kaerïss gifla sa sœur inerte par trois fois... Au revoir Kyra... … qui se réveilla d'un sursaut de douleur.

Kyra se tordait d'un mal bien plus mental que physique. Ses pupilles avaient recouvert leur couleur noire originelle, mais des cernes et veines rouges qui lui grignotaient les yeux la rendaient méconnaissable. L'explosion de son cri déchirant semblait venir de lui briser les cordes vocales.

_C'est Djïn, c'est Lui. (Sa voix rauque la fit presque tousser entre chaque mots) Je ne peux pas tuer Djïn ! Il a toujours veillé sur moi, c'est impossible ! Djïn ne me ferait pas de mal. Je dois retourner là bas, je dois l'aider tu comprends ? Laisse-moi y aller.
_Je sais, je sais. Kyra, je sais tout ça. Grand-mère y est retournée elle aussi. Et elle y est restée. J'ai enfin compris pourquoi papa voulait me cacher. Il n'y a que moi qui puisse le faire...
_Qu'est-ce que tu vas... Voulu crier Kyra de désespoir.
Alors elle recommença. Murmure sifflant entre les lèvres : Qu'est-ce que tu vas faire !!

Kaerïss puisa un ingrédient tout particulier dans l'une de ses bourses d'alchimiste. Jusqu'alors, elle n'avait encore jamais trouvé à quoi cela pourrait bien lui servir. Elle s'était bien penchée sur plusieurs hypothèses intéressantes, mais ce n'était pas comme si on lui avait donné le loisir de se consacrer pleinement à ses activités alchimiques ces derniers temps.

_Non ! Rugissait pathétiquement Kyra, tandis que sa sœur se badigeonnait les bras d'une texture presque aussi douce que de la neige. Fais-pas ça ! T'interdis de lui faire du mal !

Décidée, Kaerïss dégaina une épée qui n'était pas supposée lui appartenir. Une épée forgée par le ciel et la lumière que Kyra reconnaissait immédiatement.

_Tu possèdes sa jumelle, n'est-ce pas ? Demanda Kaerïss.
_Depuis quand es-tu en possession de la deuxième épée de grand-mère ? S'étonna Kyra, abasourdie.
_Depuis que papa me l'a confiée avant que je n'arrive.
Un souffle : _Papa ?!

Puis Kaerïss maquilla ses yeux de cette substance glissante et collante à la fois. Une préparation à base d'ectoplasmes qui recouvrait Ker'Agane. Ainsi stratégiquement recouverte de ce camouflage, Kaerïss disparaissait comme elle savait si bien le faire grâce à ses glamours personnels.
Chaque fois qu'elle devenait invisible, seuls les yeux révulsés de Kyra permettaient de la retrouver. C'est avec ces mêmes dons que le monde des esprits se révélaient aux yeux de Kyra. Kaerïss comprenait donc qu'elle se rendait au même endroit chaque fois qu'elle se vêtait de son glamour d'invisibilité.
Habituellement, Kaerïss ne possédait aucun accès au monde dans lequel l'Animato subsistait. Elle avait beau être invisible dans le monde des humains, ses yeux ne renfermaient pas les mêmes capacités que sa sœur. C'est ce qui rendait l’ectoplasme si intéressant en matière d'alchimie. Enduite de sa substance, elle empruntait leur vue métaphysique aux fantômes disparus.

Pour la première fois, Kaerïss contemplait le monde tel que Kyra pouvait le voir. Mais il y faisait tellement noir ! Ce n'est pas ainsi que Kyra lui relatait ses visions d'outre-monde. Elle parlait toujours de lumières et de transparences combinées juxtaposant les contours du monde physique. Ce devait être ça le néant dont Kyra parlait en Ker'Agane. Et au centre de toute cette obscurité parfaite, Kaerïss brillait d'une intensité aveuglante. Ses cheveux turquoises coloraient la lumière de cette douceur rafraichissante. Sa peau irradiante éclairait son avancée dans les ombres qui rebroussaient chemin à son approche. Des flammes noires et glacées jaillirent soudainement, Djïn se révélant parmi elles tel le génie de mauvais augure qu'il avait toujours été.

-Qui êtes-vous ?
-Tu ne me connais pas, Djïn. Moi si.
-Je connais tout et tout le monde. Dis-Moi juste quel est ton nom.
-Je suis la lumière dans les ténèbres. La luciole qui veille seule dans la nuit noire. Je suis la clandestine.
-Cette épée appartient à la Gardienne.
-Aujourd'hui je suis bien plus que ça : je suis le bourreau.
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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptySam 4 Fév - 17:58


***
Chapitre 12 : La petite fée


Dans le monde physique, l'abomination de chair et de sang escaladait la surface tendre d'un bras meurtri de multiples coups de griffes. De la viande s’échappait de chaque nouvelle plaie que le corps chimérique de l'Animato creusait dans la chair.
Dévisageant la gueule puissante et aiguisée de crocs pareilles à des aiguilles, Kyra se tenait juste là, au bord de la main tremblante de la Déesse, s'interrogeant sur la raison pour laquelle un bras de pierres pouvait saigner. Des veines gonflées d'un sang bouillonnant comme du métal en fusion scarifiait la peau terne et tendue des muscles monstrueux de la bête. La Déesse de pierre ne saignait peut être pas en fin de compte. Sa peau de pierre fondait au contact de l'Animato comme la lave creuse dans la roche.

Un son exécrable retentit. Un sifflement aussi angoissant que celui d'un serpent. Ce simple souffle affuté, bourdonnant contre les vibrations de sa longue fourchue, éveillait toutes les alertes interne du corps de Kyra. Un son qui précédait la stridence paralysante d'un cri de chauve-souri, tandis que l'Animato jouait de son bras pourfendu de deux masses reptiliennes en son extrémité. Les bestioles vociféraient leur colère lorsque de son dernier élan, l'Animato les claquait dans les airs tel le masochiste jouant de son fouet. Les serpents gonflés d'écailles luisantes se battaient l'un contre l'autre, énervés qu'ils étaient par ce geste. L'Animato les maitrisa sans aucun mal : il Lui suffisait de leur proposer la diversion du repas qu'Il leur désignait.
Kyra avait de nouveau reculé jusqu'au centre de main et ne s'en était même pas rendue compte. Elle se pensait tétanisée face à cette masse dont la corne frontale se séparait en deux « S » derrière son crâne. Mais, pour l'avoir fait s'écarter du danger, l'instinct de survie de son corps semblait avoir pris l'initiative d'ignorer l'inertie de son esprit. La main de la géante de pierre était immense, mais certainement pas assez pour échapper à l'Animato qui fondait sur elle comme un taureau.

Dans le monde métaphysique, la forme innocente du fantôme entouré de flammes sombres inclina la tête de coté telle une bête trop curieuse. Djïn ne connaissait pas Kaerïss, mais il connaissait l'épée qu'elle tenait dans les mains. La combinaison de ces deux éléments opposés, réunis en une seule et même vision le rendait prudent. Si cette adolescente était effectivement Sa Gardienne, il lui fallait alors connaître l'étendue de ses faiblesses. Clandestine, quel est donc ton pire cauchemar ? Une question ; trop peu de réponses.

Cette inconnue venue de nul part se précipitait vers lui à toute allure. Epée irradiante en mains, chevelure turquoise folle, lèvres pincées et regard déterminé : Kaerïss chargeait contre le corps spectral de l'Animato.
L'illusion d'un ver géant métamorphosa les contours de Djïn en crachant sa colère à travers quartes crocs pareils à des fourches gigantesques. En comprenant que la Gardienne le défiait, l'Animato apprenait à la connaître. Kaerïss avait effectivement une peur saisissante pour tout ce qui grouille et qui colle. Mais on ne se fige pas devant un ver ou des asticots comme on s'immobilise d'effrois devant une araignée ou un serpent. On frissonne, on s'agite... On écrase frénétiquement.
Kaeriss pourfendit la créature qui perdit tous ses effets imaginaires. Alors, le vers luisant redevint cet adolescent innocent coiffé d'un turban que Kyra affectionnait tant ; Kaerïss décrivant des moulinets de son épée plantée dans son ventre comme on mélange un ragout dans une marmite. Le visage angélique de Djïn arborait toute la souffrance qu'il devait ressentir, poussant sur la lame qui s'agitait en lui comme si il cherchait à la traverser pour attraper Kaerïss.
Quelque chose la bouscula dans son dos, invisible mais pas intangible qu'elle était. Il ne pouvait s'agir que de Kyra reculant face au Démon qui la chargeait. Après réflexion, Djïn ne cherchait peut-être pas Kaerïss en agitant ses bras affolés sous son nez, mais plutôt le corps chimérique que l'Animato s'était façonné dans le monde physique. Le corps et l'esprit s'attiraient pour ne plus faire qu'un.

Dos à dos, chacune dans leur plan de réalité différente contre les deux corps de l'Animato, les soeur Gardiennes L’abattirent d'un ultime enchainement parfaitement synchronisé :

Kaeriss, qui de ses bras recouverts d’ectoplasmes, renversait l'esprit de l'Animato pour l'immoler grâce au contact de ses potions alchimiques. Le fantôme de Djïn s'embrasant aussitôt, jusqu'à recouvrir complètement le corps de son exorciste qui l'étranglait de ses mains de feu.
Kyra, qui profitait inconsciemment de cette distraction pour démembrer la chimère. Le sang de feu coulant de ses blessures, grignotait la chair de sa peau qui croustillait comme du bon pain, l'odeur appétissante en moins. L'épée de feu et des ténèbres tranchait ce qui n'était plus que de la viande aussi facilement que du beurre pour s'en faire une tartine. Kyra continuait de déployer tous les efforts possibles pour s'appliquer à la tache de Le supprimer entièrement. Elle L'aurait dévoré avec appétit si il le fallait. Ce n'était pas nécessaire : l'Animato s’étiolait dans la lave en fusion de son propre sang en même temps que Son esprit chargé d'ectoplasme.

Quand enfin il n'y resta plus rien, Kyra s'effondra sur les genoux, réalisant à peine que derrière elle, Kaerïss venait tout juste d'anéantir son plus tendre ami. Son amour. Son frère d'esprit. Son âme sœur. Choisissez votre réponse : elles seraient toutes bonnes.
Des larmes scintillaient dans ses yeux avant même qu'elle ne puisse se tourner vers sa sœur. Kaerïss venait de réapparaitre. Elle n'était pas seule ; un corps gisait devant elle. Kaerïss l'avait enduit de sa solution alchimique aux résidus ectoplasme afin d'anéantir l'esprit de l'Animato qui s'était accaparé le fantôme de Djïn. Puisque l'alchimiste n'eut aucunement le temps de s'adonner à quelques expériences témoins, elle n'était pas en mesure de prévoir les éventuels effets secondaires de sa solution.

L'ectoplasme permettait de faire perdre toute propriété physique à la matière. Ce que Kaerïss venait de découvrir en tenant le corps consistant de Djïn dans ses bras, c'est que l'inverse était également possible. Cela n'avait rien de si extraordinaire, se disait-elle. Après tout, l'ectoplasme n'était qu'une matière spectrale devenue solide. Mais l'alchimiste ne préféra pas encombrer Kyra de ses découvertes en lui annonçant la raison pour laquelle Djïn était apparu dans leur monde.
Kaeriss retira l'épée du ciel et la lumière du corps de Djïn. Kyra se précipita à sa rencontre. Le corps de l'adolescent convulsa légèrement tandis qu'il semblait apprendre à respirer.

_Ne meurs pas ! S'écrira Kyra.
_Dis pas de bêtises, lui répondit-il faiblement. Je suis un fantôme...
_Ça, je n'en suis plus vraiment certaine, répliqua Kaerïss.

Djïn hésita. Il essayait de réfléchir et y parvenait. Alors il demanda :

_Je suis un vrai petit garçon ?
_Attendons un peu avant de crier au conte de fée...

Kyra s'extasia, criant haut et fort le nom de son ami bel et bien tangible, le serrant très fort dans les bras pour la toute première fois. Djïn poussa quelques protestations douloureuses, ce qui ne l'empêchait pas de rendre à Kyra son étreinte, malgré la grande faiblesse de ses nouveaux muscles.
Djïn et Kyra connaissaient depuis toujours une relation intimiste qu'ils n'avaient jamais cherché à qualifier. Un jour, Morgane lui avoua sa stupéfaction lorsqu'elle apprit que Kyra possédait un familier. Kyra trouvait ce mot trop péjoratif pour y accorder du crédit. Il était Djïn. Il était tout. On ne pouvait faire plus simple. Qu'allait-il advenir de leur relation unique et impalpable, si ils pouvaient à présent se prendre dans les bras ? Se toucher. Se caresser peut être ? Jamais leur relation n'avait possédé autant de possibilités.
Kaerïss observait ces deux êtres enlacés l'un a l'autre, unis comme un couple qui ne l'était pas. Peut-être auraient-ils fini par s'embrasser. Peut être seraient-ils restés collés ainsi indéfiniment. Si Kaerïss écrivait encore dans son journal, elle aurait eu tout le loisir de débattre avec lui sur ce sujet passionnant. Mais une voix tonitruante raisonna à travers tout l’écosystème de l'océan, leur rappelant qu'ils se trouvaient toujours au beau milieu de nul part, suspendus au dessus des eaux d'Ekarys par un bras de géant sanguinolent.

« C'est quand vous voulez pour vous bouger le derrière ! »

Les trois adolescents se levèrent d'un bond, ne comprenant pas à qui, ou à quoi pouvait appartenir cette voix divine venue d'ailleurs. Kyra n'avait jamais entendu parler les Déesses mais s’imagina facilement qu'il produirait cet effet catatonique si l'une d'elle prenait la parole. Finalement, ce fût Kaerïss qui se rappela son moyen de transport direction feu Kaminoi-eka.

_Oh, désolée Navi !
_Navi ? S'interrogea une Kyra perplexe, se dégageant vivement de l'étreinte du garçon comme une fille prise en flagrant déli par sa mère.

« Si vous continuez à me chatouiller de vos petites pattes, je vais finir par vouloir me gratter. Et vous ne voulez vraiment pas qu'une telle chose arrive avec mes gros doigts de colosse... »

_Je croyais que l'on combattait l'Animato sur les vestiges d'une statue représentant les Déesses, s'étonnait Kyra.

« Je ne suis pas une Déesse ! » Gronda la voix de Navi. « Et jamais ne le serai ! Maintenant fichez-moi le camp que je puisse reposer mon bras. »

_Mais Navi, comment veux-tu qu'on fasse, on est piégée ici... Mon dragon s'est fait dévoré par des zombies.


« Je n'ai jamais rien entendu d'aussi exaspérant.... Heureusement, suis une fée pleine de ressources ma petite. Je vous téléporte toutes les deux en Tecil, évidemment ! Comment crois-tu qu'avec Kaerïss nous soyons arrivées jusqu'à toi aussi vite ? »

_Djïn est avec nous, informa celle-ci à la mention de son nom.

Navi poussa un grognement désespéré.

« Ce n'est pas parce que je suis super géante que mes pouvoirs ont grandi en conséquence pour pouvoir transporter vos petits copains... Avec une personne de plus, je ne vous garanti pas la qualité de votre atterrissage avec le peu de mana qu'il me reste. Votre père vous réceptionnera sans aucune garantie de ma part. Passez-lui bien le message de mon bon sentiment. »

_Notre père ?
_Il est sur Kaminoi avec Sensei et tes généraux, répondit Kaerïss. Il nous a rejoint avec la plus grande armée de Dragons que je n'ai jamais vu ! C'était les Dragons Maudits. Ils sont en train de régler les derniers détails là bas.

« Plus tard le sénario. Déguerpissez vite et prenez bien soin de vous. Vous avez toute la vie devant vous maintenant. Ne la gaspillez pas. »

_Nous reviendrons avec tous les Dragons possible, Navi. On va te sortir de là, tiens bon !

« Prenez votre temps, je crois que je vais nager un peu en attendant... »

L'instant suivant, les trois adolescents avaient disparu, laissant enfin tout le loisir à Navi de se tordre de douleur. Il s'en était fallu de peu avant qu'elle n'explose devant eux. Les Déesses de pierres avaient tenu plusieurs années dans cette position en suspendant Kaminoi-eka à bout de bras. Mais elles étaient deux, et Navi, toute aussi géante qu'elle était devenue, ne serait jamais plus qu'une petite fée perdue dans l'immensité de l'océan.
Comme promis, cette petite fée effectua quelques mouvements sur le dos en se laissant porter par le courant de l'eau devenue si calme tout à coup. Le ciel commençait à s'embraser légèrement, signe que Navi assisterait à son plus magnifique coucher de soleil.
C'est toujours comme ça que ça marche : il faut vous priver de quelque chose pour que vous réalisiez à quel point vous en aviez envie. Navi se laissait flotter dans l'eau dorée par la lumière chatoyante de la plus formidable aurore à laquelle elle n'ait assisté de son vivant, parce que celle-ci serait la dernière.

Le corps ensanglanté de Navi s'épuisait trop vite. Combattre l'Animato pour l'empêcher de grimper à la surface de son bras allait lui coûter la vie. En silence, la tête plongée sous l'océan, elle avait hurlé toute la souffrance causée par ses blessures lorsqu'Il lui escaladait le bras.
En y repensant, Navi était plutôt fière d'elle. Non pas de la persévérance et du courage qu'elle ne soupçonnait pas couler dans ses veines, mais de ces deux adolescentes qu'elle avait gardé durant toute leur enfance. Jusqu'à la fin, leur petite gouvernante féérique les avaient protégé du noir de leur chambre pendant leur sommeil et des dangers de la vie qui les guettaient à leur réveil. Aujourd'hui, Kyra et Kaerïss étaient devenues les femmes que Navi avait tant espéré connaître un jour.
Cette pensée lui fit décrocher un sourire apaisée, juste avant que l'or d'un millier de scintillements ne l'emporte à travers le reflet de la chaude lumière du soleil. Aucune bulle n'accompagnait sa descente dans les abysses liquides. La petite fée sombra dans l'éclat de l'océan qui brillait comme un trésor.

Lorsqu'une Déesse se meurt, elle s'éteint parmi les paillettes dorées des étoiles.


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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyVen 10 Fév - 17:59


***
Chapitre 13 : La missive


Même à l’approche de la nuit, rester impassible devant l'image de son propre cadavre était tout ce qu'il trouvait à faire. Pousser un cri d'effrois, vomir ses tripes ou s'enfuir en courant, n'étaient simplement pas envisageable. Pas étonnant que Kyra ne pouvait s’empêcher de redresser les épaules et paraître aussi fière qu'elle était terrorisée lorsqu'un évènement qui la dépassait lui tombait sur le coin de la figure. Avec son père en exemple, elle était plutôt à bonne école. Kyra n'avait jamais vu son père arborer un visage aussi terrifiant de neutralité que lorsqu'il observait le corps de Sensei qui partait en lambeaux.

_C'est... si moche que ça en a l'air ? Barbouilla Sensei dont les mots mâchés qui traversaient sa bouche reflétaient tout le mal qu'il se donnait pour les prononcer.
_Est-ce que tu as mal ? S'enquit Maitre toki en félicitant le contrôle implacable de sa voix qu'il parvenait à maintenir jusque là.
_J'en sais rien.

Évidemment. Comment un cadavre serait-il capable de ressentir la douleur ?
Kyra s'approcha de Sensei et réprima son envie de l'enlacer. Pas tellement à cause de son apparence répugnante, ni au fait qu'elle risquait peut-être d’aggraver sa décomposition si elle le touchait, mais parce que la main de Djïn s’accrochait désespérément à la sienne.

_Oncle Sensei... Kyra ne pouvait terminer sa phrase.
Si son père se montrait fort, il était simplement hors de question de craquer. Kyra se serait alors trouvée dans l'obligation de tuer toutes les personnes témoins de ses pleurs interminables. Kaerïss versait suffisamment de larmes pour tout le monde, même si Kyra était la seule à les avoir remarquées comme sa sœur exprimait son chagrin derrière les murs invisibles de ses glamours personnels.

_Tout l'honneur fut pour moi, répondit Sensei à l'attention des jeunes femmes. Vous êtes les filles que je n'aurais jamais dû rencontrer.
_Si le temps ne jouait pas contre nous, je serais probablement parvenu à trouver une manière de te guérir de la nécromancie de l'Animato... Pensa Maitre toki à voix haute.
_Je suis mort, tu sais ? Il m'a tué. Je ne suis présent que par le hasard des lois... fantasmagoriques.
_Ouais, dit comme ça c'est tellement poétique. (Maitre toki esquissa un sourire que Sensei essayait de lui rendre ; le résultat de son reflet décrépit n'en était que plus affreux.) J'ai créé ton fantasme, je devrais être en mesure de le corriger ; pas de te garder piégé à l'intérieur de ce... H(Une pause, puis il reformula). [color=#0000FFPersonne ne devrait garder toute sa conscience intacte quand son corps se désagrège.[/color]
_C'est pour cela que la mort existe, tu ne penses pas ?

Maitre toki soupira. Son double avait fait parti de sa vie depuis presque vingt ans. Que ressent un frère jumeau lorsqu'il perd la moitié de son âme ? Plus encore, si il devait le laisser partir de son plein grès.

_J'ai l'impression de te tuer.
_De me libérer, s'empressa Sensei de le corriger. Je ne serai jamais plus que ton reflet dans le miroir. Regarde-toi, tricheur.

Maitre toki éclata de rire suite à la référence de sa propre apparence. Ses émotions l'empêchaient tout contrôle d'illusionnisme, si bien que son corps qui ne vieillissait pas était librement exposé à tous pour la première fois.
Lorsqu'il retrouverait la maitrise de sa personne, Maitre toki réajusterait son apparence et paraitrait huit ans plus âgé que les vingt-cinq ans arborés par les traits naturels de son visage. En réalité, Maitre toki aurait bientôt trente-neuf ans. Si il souhaitait revoir Sensei -qui lui ne trichait d'aucune manière sur ses véritables trente-trois ans- l’illusionniste n'avait simplement qu'à se regarder dans une glace.
Aux yeux de Kyra et de Kaerïss, ce petit jeux de calcul tordu n'était qu'une autre frasque habituelle de leur père. Pourquoi paraître avoir trente-trois ans alors qu'on en possède trente-huit ? Pour doucement familiariser son entourage troublé par l'apparence de son corps figé dans le temps, depuis qu'il avait vingt-cinq ans. Depuis sa rencontre avec son épouse, Gwaedia, qui lui prêtait un peu de son immortalité chaque fois qu'ils faisaient l'amour. D'ailleurs, il serait peut-être temps pour lui d'aller se chercher une petite cure de jouvence en Célarawen. Cela commençait à faire long. Des rides mentales se creusaient.
C'était un secret de famille. Merci de ne pas trahir cette confidence.

La simple pensée de revoir sa merveilleuse Gwadioudiou adorée illumina de plaisir les pensées de Maitre toki. Kaminoi-eka n'était plus un problème. Kaminoi-Técil ; plus pour longtemps. Les Dragons Maudits... (qui attendaient patiemment leur dernier envol, et dont les quelques retardataires venaient tout juste de rejoindre le groupe non loin de là) nous allions y revenir.
Libéré de tout, soudainement conscient de la paix intérieur qui s'insinuait dans toutes les fibres de son être, Maitre toki voyait son esprit divaguer vers des hauteurs encore inexplorées de son subconscient. Si élevées d'ailleurs, qu'il établit accidentellement une rencontre étonnante avec Celui-Qui-Ecrit-Tout, à travers l'apparition saugrenue d'un pygmée sur son épaule droite.

_Papa, tu as un drôle d'insecte sur ton épaule ! S'émerveilla Kaerïss. J'en avais jamais vu des comme ça avant, je rêverais de faire des expériences avec...
« Les mains dans les poches ! S'écria le pygmée. N'y pense même pas ! »
_Ça alors, on dirait que ça parle ? S'étonnait Kyra à son tour.
« On dirait, confirma le petit être. Bon, dites... Vous savez où vous êtes, les filles ? »
_A la frontière de Kaminoi... ? Répondit Kyra, n'appréciant guerre la familiarité « les filles ». Pour qui se prenait-il ?
« Je me prend pour qui je suis. »

Kaerïss hoqueta de surprise. Ne venait-il pas de lire dans les pensées de Kyra ?! Le pygmée émit un petit rire gêné tout en se frottant la nuque. Cela ressemblait à un geste machinal calqué sur celui de Maitre toki. Où bien finalement était-ce l'inverse.
Le pygmée reprit la parole d'un ton drôlement ironique, comme s'il s'éclatait vraiment de cette étrange situation :

« En fait, vous êtes à la frontière de votre destinée ! J'ai trouvé amusant de faire un parallèle avec la croisière de vos vies sur les frontières du royaume. J'ai un esprit assez tordu, désolé pour ça. Vous vous en êtes surement rendus compte durant ces quelques années à jouer avec vos vies... »

Ce petit bonhomme parlait bizarrement et il le savait. Le père des jeunes femmes ne semblait pas trop s'en préoccuper, préférant étudier avec intérêt les réactions de ses filles. Tiens donc ? Voilà que le pygmée commençait à se ronger l'ongle du pouce. Etait-il nerveux ? Cela n'en restait pas moins grossier. C'est alors que cette petite bestiole humanoïde ferma les poings, se rendant probablement compte de ce flagrant délit avant de se planquer les ongles derrière le dos, à l’abri de toute tentation incommodante.

« Encore un dernier chapitre et vous serrez libres, continuait-il, conscient que ses paroles n'interresseraient que lui. J'avais juste envie de faire un dernier coucou avant la fin. Wink»
Ce clin d’œil était vraiment très étrange.

_Papa, je crois que je connais cette voix. Etait-ce lui qui parlait à travers cette sphère que tu as récupérée un jour dans le sanctuaire ?
_Oui, cette même voix qui parle trop vite jusqu'à mâcher quelques mots.

« Seulement quand j'ai un coup de pression ou les idées qui se bousculent, corrigea le pygmée agacé. Ce qui arrive assez souvent en fait... D'ailleurs je viens de relire nos conversations réparties dans le temps, c'était cool. Je vais vous laisser maintenant, j'ai bientôt terminé mon travail. Merci tokichou pour l'accident de mon apparition. On se rappelle de temps à autre ? Ciao tout le monde ! Razz»

Le pygmée esquissa ce sourire en coin dont il avait l'habitude, accompagné d'un bref signe de la main. Pourquoi diable venait-il de tirer la langue ?

Maitre toki se tourna vers Sensei, ou plutôt là où il aurait dû se trouver. Il l'avait complètement oublié depuis que ses pensées libérées s'étaient tournées vers son épouse et son propre apaisement d'une vie tourmentée par les guerres, les chagrins, la mort, les apocalypses, la bêtise et une folle. Le pygmée qui venait de disparaître de son épaule s'en félicitait, car cette liberté venait de permettre à Sensei de retourner là où il était supposé être. Le fantasme de Maitre toki n'était plus ; son corps devenu poussières s'éclipsait délicatement, emporté par une faible brise de pouvoir.
Le pouvoir de tout un peuple qui marchait en direction du royaume.

La Reine à la peau d’ébène termina sa marche un pas en retrait de la frontière. Maitre toki lui faisait face, Kyra et Kaerïss à ses cotés. Djïn ne disait toujours rien et semblait aussi invisible que le fantôme qu'il était plus tôt. Mais sa présence dans ce portrait de famille taquina la méfiance naturelle de Darlyssa. Celui-ci, elle ne le connaissait pas. Son instinct d'Elfe Noir lui commandait de le faire mettre à genoux, l'écorcher pour découvrir à qui appartenait sa loyauté et poser les questions ensuite. Mais si par la suite, Darlyssa devait travailler pour rendre possible la cohabitation entre les Elfes Noirs et les humains, elle n'avait d'autre choix que de commencer à s'y habituer dès maintenant.
La non présence de Sensei n'était pas étonnante à ses yeux. Évidemment, difficile de ressentir le manque d'une personne si votre interlocuteur lui ressemble trait pour trait, bien qu'en l'instant il paraissait encore plus jeune que d'habitude. Les miracles d'une belle lumière tamisée par ce splendide soleil couchant, peut-être ? Le vide de la présence de Sensei viendrait avec le temps, à n'en pas douter. Mais Sensei, devenu roi des Elfes Noirs, ne l'avait pas vraiment quitté ; il existait encore quelque part en Maitre toki.
Et si à l'inverse,  Maitre toki s'était libéré de ce monde en offrant son corps neuf à Sensei ? Tellement neuf d'ailleurs, que cet homme semblait tout juste sorti du berceau ! Darlyssa n'y croyait pas tant mais, ne disait-on pas que les pygmées avaient un drôle d'esprit farceur ?
La question sur le devenir du fantasme de Sensei - qu'il fallait libéré de son corps dépravé par la mort - faisait parti des quelques détails que l'illusionniste et lui réglaient lorsque les deux adolescentes combattaient l'Animato. Si celles-ci se tenaient fières et fortes devant elle, et que Sensei avait disparu, c'est qu'elles avaient simplement triomphé de Lui. Pas mal.

_Bienvenue en Kaminoi, commença Maitre toki.
_Oui eh bien, permettez à ce propos que je le rebaptise. Je ne désire aucunement me trouver dans le registre impérial. Jusqu'ici, Ker'Agane s'en est parfaitement accommodé sans. Cela évite la visite de pillards trop lésés, ou autres conquérants assoiffés de sang et imbus de pouvoirs.
_Cela nous aurait en effet évité bien des guerres, concéda Maitre toki. Voici les clefs de votre royaume, Reine Darlyssa. (Il fouilla instinctivement plusieurs poches pour découvrir qu'elles étaient vides)
_Tu permets, papa ? Intervint Kyra. C'est moi qui dirige ici. Voici le parchemin de propriété.

Kyra tendit à la Reine le papier officiel quelque peu froissé attestant de ses hautes fonctions. La Reine arqua un sourcil.

_Il est compromis, remarqua Darlyssa.
_Oh... C'est que... L'autre moitié m'a été subtilisée par un méchant courant d'air.
_Tu as déchiré et égaré ta succession au royaume ?! S'enflamma Maitre toki devant l'expression soudainement maîtrisée de Kyra.
_Considérez ceci comme mon abdication, reprit la jeune femme sans plus attendre. Ces terres sont votres, désormais. Si vous voulez un parchemin territorial à votre nom, il ne tient plus qu'à vous d'en créer un.

Darlyssa s'inclina de respect devant les deux sœurs.

_Mesdames, vous êtes devenues de puissantes et redoutables guerrières. Dame Kyra, si les humains acceptent votre démission à la gouvernance de leurs terres par le remplacement d'une Elfe Noire, je saurais faire honneur à vos talents et reconsidérerais mon point de vue sur les humains pour ne pas tous les asservir.
_ Pas tous ? Cela ressemble à une menace, constata Kaerïss.
_Pas du tout. Sachez vous contenter de ce que je suis prête à concéder, tant que je me contenterai de vos propres concessions pour nous accepter.
_Nous avons un accord, conclut Kyra.
_Alors, laissez-moi libérer vos émissaires, poursuivit la Reine.

A travers la mer noire des soldats Elfiques, un trio bien connu de Kyra apparut chaines aux poings. Maitre toki avait envoyé ses trois généraux retrouver les Elfes Noirs afin de négocier au nom de Kaminoi. Sans arme : avait-il alors insisté. Si il aurait s'agit d'un autre peuple que les Elfes Noirs de Ker'Agane, Maitre toki aurait parlé d’offrande territorial. Mais il n'existait aucun cadeau désintéressé lorsque l'on traitait avec eux.
Aucun des généraux de Kyra n'affichait la moindre trace de torture, ni ne souffraient d'aucune blessure apparente. Décidément, soit la Reine Darlyssa s'était visiblement bien calmée, soit elle manigançait quelque chose.

Il ne restait plus qu'une dernière missive à envoyer, et Maitre toki serait complètement libre de son destin. Cette fameuse missive qui n'attendait plus que l'apposition douloureuse de sa signature, mais qu'il lui fallut réécrire à cause de son enlèvement. Depuis quand une signature est-elle douloureuse, serions-nous en droit de demander ?
Réponse : depuis qu'il faille se tailler une veine assez profonde pour ne pas manquer d'encre, cette fois-ci.

Citation :
A l'intention d'Alterna,
Matriarche des Dragons Maudits.

Moi, Maitre toki, en tant que membre originel du triumvirat fondateur, déclare par la présente avoir rempli tous mes devoirs de chef de guilde, et demande par le sang de ces mots la rédhibition du Pacte Maudit unissant les Hommes et les Dragons.

Nos aventures se voulaient épiques, braves et déjantées. L'honneur d'avoir servi la guilde la plus constante et cohérente dans ses convictions, ses actions et ses principes, est tel, que chaque jour de ma vie je me remémorerai cette époque où les Dragons Maudits lutaient comme des frères et des sœurs, ensemble, complices, contre la folie de cet empire à qui nous le rendions bien.
Nous avons subi des pertes, des traitres, et même quelques reconversions entre deux ou trois apocalypses. Que dire de nos « Folie Furieuse », lorsque le monde dans lequel nous vivions perdait tout sens des réalités. Et inversement...

En ce jour heureux, je considère la mission et le dévouement des Dragons Maudits totalement assouvis. Notre place et la votre résident dans l'avenir. Une dernière fois, déployons nos ailes ensemble et profitons de voler vers cette liberté qui nous est promise. Vous et moi avons particulièrement pris du plaisir dans cette aventure, toutes ces longues années.
De cœur, nous resterons tous des Dragons, dont la seule et véritable Malédiction sera de le demeurer à jamais.

Sincèrement fier de notre parcours.



T.S

Janvier 234 Les membres des Dragons Maudits ont dissous leur guilde.


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MessageSujet: Re: Ultime Odyssée   Ultime Odyssée EmptyJeu 16 Fév - 15:42


***
Chapitre ultime : Les maux de la fin


Le lendemain, Djïn et Kyra s'étaient donnés rendez-vous en un lieu qu'ils savaient intime et chaleureux, à l’abri des regards indiscrets. Kaerïss avait passé sa vie entière dans cet atelier -actuellement en travaux de rénovation- et personne n'était jamais venue la déranger. Kyra considérait donc qu'ils pouvaient rester tranquilles.
Djïn étudiait quelques fioles colorées qui trainaient sur un établi, découvrant sans cesse le nouveau pouvoir de ses mains capables de se saisir de n'importe quel objet. Kyra l’observait avec intérêt, assise sur le bureau de sa sœur, les jambes ballotant négligemment dans le vide.

_Je me méfierais de ça si j'étais toi, lui lança t-elle. Kaerïss serait folle si elle apprenait qu'on est venu ici à son insu. Mais si en plus, elle découvre que tu lui casses ses créations pour le simple plaisir de pouvoir les toucher...

Le silence de Kyra démontrait de manière suffisamment explicite les dangers que Djïn encourait si un tel malheur devait se produire. Kaerïss n'avait pas encore prouvé que Djïn ne retournerait pas à l'état de fantôme lorsque l'ectoplasme absorbé par sa peau disparaitrait. D'ailleurs, l'alchimiste avait fortement déconseillé à Djïn de prendre un bain pour le moment. Kyra n’appréciait vraiment pas cette idée. Djïn finirait fatalement par avoir besoin de se laver. Les odeurs ont la peau dure chez les vivants. Kyra l'aimait ce garçon. Mais elle n'avait aucunement l'intension de découvrir si elle l'aimait à ce point.

_Tu as raison, mais... J'ai tellement envie de toucher toutes ces choses ! Je n'ai jamais rien touché depuis que je suis mort, et tu choisis le seul endroit où je ne dois absolument rien prendre dans mes mains.

Le visage de Kyra resplendissait. Lorsque Djïn lui refit face, elle passa une main dans ses cheveux courts et les laissa glisser lentement entre ses doigts. Cette femme avait un plan.

_Je crois bien que je vais me les laisser pousser, décida la jeune femme.
_Ah, bon ?
_Oui. Si tu peux venir les caresser, c'est qu'ils méritent de retrouver leur longueur.

Djïn ne comprit pas immédiatement le message. En tant que fantôme, jamais il n'aurait saisi l'allusion. Pourtant, à présent qu'il foulait le sol des vivants, son esprit commençait gentiment à se revigorer.  
Le jeune homme s'approcha de Kyra, se demandant pourquoi il n'avait jamais remarqué sa beauté. Il secoua faiblement la tête, hésita un faible instant, puis caressa le visage de Kyra.

_Je ne veux pas redevenir un fantôme, oublier le contact de ta peau sur mes doigts.
_C'est pour cela qu'il n'y a rien dans cet atelier que tu ne puisses toucher... révéla Kyra, ce que Djïn ressentit comme une réprimande pour sa main baladeuse, et Kyra de le détromper : à part moi.

Djïn ravisa son repli. Il répondit à l'invitation en se penchant plus en avant, de manière à connaître la sensation des cheveux de Kyra nager en douceur glisser sur ses doigts. Ce geste les déséquilibra tous les deux, mais l’attraction de leur corps fut perturbé par la chute du journal de Kaerïss qui plongea hors de sa cachette pour venir s'écraser au sol.

_Je me suis dit qu'il manquait quelque chose dans ce journal, et puis j'ai trouvé ça !

La voix de Kaeriss qui venait de retentir les fit bondir de stupeur. N'était-elle pas supposée accompagner leur père pour rejoindre Gwaedia ? Au lieu de quoi, ce petit génie des illusions personnelles apparu devant le journal qu'elle venait bruyamment de jeter à terre. Témoins d'infortunes d'un moment intime entre un homme et une femme, certains se seraient raclés la gorge, d'autres auraient simulé une légère quinte de toux ; Kaerïss se retint de crier « bouh ! ».

_Vous inquiétez pas, je vais attendre un peu avant de me mettre en colère pour vous avoir trouvé là à faire des cochonneries, lança l'adolescente enjouée. Kyra, j'ai retrouvé Pile et Face.

Silence...

_La blague !! S'étrangla t-elle en s'étalant à son tour devant le journal de Kaerïss.
_Vas-y, regardes. Pour cette fois unique, je t'y autorise. Regarde vraiment.

A première vue il n'y avait en fait rien à voir, sinon les deux pages vierges que Kaerïss désignait. Puis Kyra décida de faire comme elle en avait l'habitude avec les fantômes et révulsa son regard.
A travers ses yeux d'un blanc parfait, les contours d'un dessin très étrange s'imprima comme du filigrane. Figés dans l'esquisse parfaite d'une curiosité de trop, Pile et Face se chamaillaient le grimoire de Kaerïss entre les mains.

_Il était temps que je l'ouvre à nouveau ! Nos prochaines aventures devront attendre un peu ma chère sœur. Car ici, j'ai encore des bulles dans mon alambic* !
*Expression dérivée de Kaerïss pour « avoir du pain sur la planche ».

Kyra sauta de joie au cou de sa sœur. Les gobelins ne l'avaient jamais abandonnés ! Et bientôt, elle apprendrait que la disparition de leurs femmes Recto et Verso coïncidait avec les yeux de gobelins que Kaerïss lui avouerait plus tard avoir découvert un jour où elle disséqua son marque pages. Une anecdote parfaitement décrite à l'intérieur, pour quiconque oserait le lire.
Il n'était pas venu à l'esprit de Kyra que les jumeaux cambrioleraient cet atelier pour retrouver leurs épouses... (Et surement les enfermer à jamais si d'aventures elles avaient survécu à ses sécurités mortelles) C'était bien là, la plus grande erreur de sa vie.
Kaerïss finit par repousser sa sœur de son étreinte. Les choses sérieuses allaient pouvoir commencer.

_Bon ! Passons à votre correction. Il me reste quelques potions rouges dans les poches. Te souviens-tu de leur particularité ? Interrogea l'alchimiste sur le ton d'un professeur trop sévère.
_Elles sont incendiaires ? Grimaçait Kyra, prudente.

Kaerïss récompensa cette bonne réponse par la formation d'un sourire cruel et sadique sur ses lèvres. Kyra écarquilla de grands yeux ronds devant la promesse pyrotechnique de sa sœur,  puis s’accapara du bras de l'ancien fantôme qu'elle tira brusquement.

Djïn et Kyra s’enfuirent en courant de l'atelier, laissant Kaerïss seule avec son journal. Il était temps de débattre à nouveau de l'avenir avec lui.
Du sien : qu'elle allait partager avec Kyra comme deux sœurs vagabondes à travers les continents.
Des Dragons Maudits : que son père avait relâché pour un avenir meilleur.
De la constellation divine de Navi : qui brillerait à jamais dans la mer, en compagnie pourquoi pas de quelques aqua-cactus pour la guider dans son funeste voyage.
De Kaminoi : qui s’apprêtait à disparaître de l'empire pour de bon grâce aux compétences expertes de Darlyssa.

Kaeriss s’attarda quelque peu sur le sujet. On disait que la Reine se cherchait un nouveau roi pour succéder à Sensei. Un roi parmi les humains qui incarnerait l'équilibre des forces entre les deux peuples. Trois candidats circulaient entre les oreilles indiscrètes des couloirs du château : Micah, Teia et Morgane. La Reine aurait été séduite par leur courage de s'être livrés à elle désarmés avant d'entamer les négociations, et que l'un deux s'était « sacrifié » pour la juste cause. Bientôt, on soufflerait le nom de Morgane, dont l'union surprenante avec Darlyssa symboliserait le retour des Déesses amantes, devenues pierres, puis branlantes.

Puis enfin, des derniers potins entre Djïn et Kyra : Ah, ces deux là ! Kaerïss se doutait que les apparences risquaient fort bien d'être trompeuses.   Djïn se trouvait en sursis dans ce nouveau corps, jusqu'à ce que Kaerïss parvienne à prouver le contraire. Nul doute que Kyra et lui en étaient conscients et qu'ils en profiteraient le temps qu'on accepterait de leur accorder, si jamais quelqu'un décidait de modifier l'écriture de leur avenir.
Etaient-ils en train de s'embrasser actuellement ? Profitaient-ils de pouvoir se toucher pendant qu'il en était encore temps ? Comme des amis ou comme des adultes?
Ou plutôt, n'échangeaient-ils pas leur confidences et leurs espoirs, comme ils l'avaient toujours fait ? Kyra devait certainement lui réapprendre à rester vivant, si tant est que l'on pouvait considérer Djïn comme tel. Un coup de pied par ci, un coup de tête par là... Pour Kyra, cela avait toujours très bien fonctionné jusqu'ici. Dans tous les cas, ils devaient plutôt bien s'amuser ensemble, les deux complices.
Quelque part, Djïn était pour Kyra ce que son journal était pour Kaerïss. Un confident. Un ami très spécial qui serait toujours là pour elle lorsqu'elle en aurait besoin. Mais bien sur, son journal ne lui répondait pas vraiment lorsqu'elle parlait avec lui. Ou alors pas encore.

Tout était possible finalement ; et c'était bien là le mot de la fin.



Game Over

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